COVID-19: sur le plan professionnel, les femmes ont été obligées d’abandonner leurs activités pour se rendre disponibles et s’occuper des enfants qui ne vont plus à l’école

COVID-19: sur le plan professionnel, les femmes ont été obligées d’abandonner leurs activités pour se rendre disponibles et s’occuper des enfants qui ne vont plus à l’école

Les entretiens de WATHI – Série Covid-19 – Focus Togo

Dosseh Mokpokpo

Plusieurs experts affirment que les épidémies et les catastrophes naturelles affectent différemment les hommes et les femmes. Les femmes et les filles seraient touchées par la COVID-19 de manière disproportionnée avec un impact plus profond. Qu’en pensez-vous ?

C’est à bon droit que les experts affirment que les épidémies et catastrophes naturelles affectent différemment les hommes et les femmes. D’une part, les besoins des femmes et des hommes diffèrent à certains niveaux et les capacités à se défendre ne sont pas les mêmes d’autre part. Si nous prenons l’exemple de la COVID-19, elle n’est pas discriminatoire, pourtant les conséquences du virus ne sont pas les mêmes chez les hommes et les femmes. Ces dernières sont d’ordre sanitaire et économique.

Selon les informations physiologiques à notre portée, les femmes disposent de deux chromosomes « X » alors que les hommes n’en ont qu’un ; et lorsqu’il s’agit des virus et du coronavirus en particulier, la protéine par laquelle le virus est détecté est codée sur le chromosome X. Par conséquent, cette protéine a une dose deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes.

Sur le plan professionnel, les femmes ont été obligées d’abandonner leurs activités pour se rendre disponibles et s’occuper des enfants qui ne vont plus à l’école. Etant donné que l’une des principales raisons d’émancipation des femmes est leur autonomisation financière, et puisqu’elles n’ont plus d’activités génératrices de revenu, les femmes de ma localité se retrouvent encore plus vulnérables que dans les situations antérieures.

Pour les filles, l’accent est mis sur la santé sexuelle suite aux exploitations des filles, aux viols, aux travaux forcés à cause de la fermeture des écoles et centres de formation. Les femmes et filles handicapées sont encore plus touchées car il est difficile pour elles de respecter les mesures barrières.

La COVID-19 accentue-t-elle les inégalités existantes entre les hommes et les femmes ? Comment cela se traduit-il ?

La crise sanitaire a causé un déficit en matière d’égalité et a fait accroître les inégalités entre les hommes et les femmes dans le monde en particulier au Togo. Nous avons constaté qu’un grand nombre de femmes ont été licenciées, notamment celles qui travaillent dans les hôtels et lieux de restauration, les ménagères, restauratrices, commerçantes etc. Ce sont les femmes qui exercent majoritairement dans le secteur informel.

Les inégalités se renforcent dans les ménages puisqu’on demande aux femmes de rester à la maison et surveiller les enfants la femme n’a plus d’autonomie financière et donc dépend totalement de l’homme. De même, le taux de chômage des femmes a connu une hausse de 0,9% contre 0,7% pour les hommes dans cette période de la crise sanitaire. Sur cette base, on peut affirmer que la Covid-19 a accentué les inégalités entre hommes et femmes

Nous avons constaté qu’un grand nombre de femmes ont été licenciées, notamment celles qui travaillent dans les hôtels et lieux de restauration, les ménagères, restauratrices, commerçantes etc. Ce sont les femmes qui exercent majoritairement dans le secteur informel

Au-delà de ces considérations, pour moi cette crise est venue renforcer le préjugé selon lequel la plus noble aspiration d’une femme serait le foyer. Si nous sommes tous égaux, alors pourquoi les hommes ne peuvent donc pas surveiller les enfants et laisser les femmes vaquer à leurs occupations soit faire un calendrier de tour de garde des enfants ?

Les efforts des autorités sont concentrés sur la réduction de la progression de la COVID-19. Selon vous, quelles conséquences les mesures restrictives pourraient-elles avoir sur la fourniture de services de planification familiale et d’autres services et produits de santé sexuelle et reproductive ?

Effectivement le gouvernement togolais fait beaucoup d’efforts pour lutter contre la COVID-19, ce qui est très salutaire. Il faut noter que contrairement à ce qui est dit, les autres secteurs ne sont pas délaissés. Les actions sont simplement plus orientées vers l’urgence de l’heure :  l’éradication du virus par tous les moyens.

Pour revenir à la question, l’apparition du virus a effectivement fragilisé la prise en charge des services de planification. D’une part, la COVID-19 a augmenté la peur des femmes à se rendre dans les centres de santé pour se prendre en charge sur les questions de planification. D’autre part, on a constaté le manque de temps pour les agents de santé de se consacrer aux services de planification sexuelle, étant en première ligne de la gestion de la crise sanitaire.

L’absence de service de proximité (conseils et appuis en présentiel) et la pénurie des produits liée à la fermeture des frontières et au bouclage des villes, n’ont fait qu’accentuer la fragilité de la femme dans ce secteur

Les ressources sont orientées vers les réponses à la pandémie. Les différentes organisations de protection de la santé de la femme ont dévié leurs projets pour les adapter à une réponse à la pandémie. On peut affirmer que les services, les programmes de formation et l’accompagnement en santé sexuelle et procréative des femmes sont négligées en cette période.

Alors que les femmes continuent d’avoir besoin des moyens de contraception, de produits d’hygiène menstruel et de produits de soins maternels, nous notons l’affectation de certains agents en santé sexuelle de la femme dans d’autres services de santé vitaux, ce qui confirme le danger auquel la santé sexuelle de la femme est exposée. L’absence de service de proximité (conseils et appuis en présentiel) et la pénurie des produits liée à la fermeture des frontières et au bouclage des villes, n’ont fait qu’accentuer la fragilité de la femme dans ce secteur.

Comment évaluez-vous l’impact socioéconomique des restrictions prises par les autorités contre la COVID-19 sur les femmes ? 

La crise a eu un impact socioéconomique où les femmes sont surreprésentées dans la population active notamment dans les domaines de l’agroalimentaire, la restauration, la vente en détail et autres. Ce déficit est justifié par la mévente dans un cas et l’obligation de rester à la maison pour protéger les enfants dans l’autre (l’abandon catégorique de l’activité de revenu habituelle).

Ce qui explique que l’épargne devienne compliquée, voire impossible. En temps normal les femmes ont du mal à amortir les chocs économiques de courte durée, on peut comprendre que la crise actuelle augmente leur vulnérabilité. Le refus d’effectuer les voyages pour l’achat des marchandises, la perte d’emploi des maris (conducteurs de taxi, ouvriers des zones portuaires…) affecte plus les femmes qui sont obligées de jongler pour nourrir toute la famille.

Les résultats de l’étude réalisée dans la Commune du Golfe 1 sur la lutte contre Covid-19 vont dans le même sens. Cette étude conclut que la crise semble plus impacter les femmes que les hommes. Le revenu moyen des hommes est passé de 314 824 FCFA à 139 682 FCFA alors que celui des femmes est passé de 339 826 FCFA à 104 260 FCFA. La même observation est faite en considérant le revenu médian qui est passé de 125 000 FCFA à 34 500 FCFA pour les hommes contre 97 750 FCFA à 28 750 FCFA chez les femmes. L’écart de revenu entre homme et femme semble être aggravé avec la crise sanitaire.

Comment la crise sanitaire liée à la COVID-19 affecte-t-elle les femmes enceintes ?

Le stress est le premier élément à souligner chez les femmes enceintes en période de COVID-19. Comment poursuivre les consultations sans risque de se contaminer dans le centre de santé et la peur des visites prénatales ? Par ailleurs selon les explications des spécialistes lorsque l’immunité est faible le risque de contamination est élevé alors que nous savons que les femmes enceintes ont une immunité faible.

Il est vrai que selon les recherches médicales, la réponse immunitaire est généralement plus agressive et plus efficace chez les femmes que chez les hommes. Mais s’agissant d’une femme enceinte quand elle est contaminée, le placenta est affecté et il est donc possible qu’il y ait un impact sur la santé du fœtus. Le placenta permet au fœtus de se développer en lui apportant de l’eau et des nutriments nécessaires à la croissance.

Mais s’agissant d’une femme enceinte quand elle est contaminée, le placenta est affecté et il est donc possible qu’il y ait un impact sur la santé du fœtus

Certaines recherches médicales affirment que quand la femme porteuse est contaminée, elle présente des lésions pouvant provoquer une naissance prématurée ou une fausse couche. Raison pour laquelle les femmes enceintes doivent avoir accès à des informations fiables et en soins de qualité. Elles doivent également bénéficier d’un suivi régulier.

Selon les projections de l’UNFPA, la COVID-19 pourrait occasionner sept millions de cas de grossesses non désirées dans le monde. Avec la fermeture des écoles et l’instauration du couvre-feu au Togo, y a t’il un risque que les avancées obtenues dans la lutte contre les grosses précoces et les mariages forcés soient compromis ?

Les risques liés aux grossesses précoces sont énormes. Récemment lors d’une de nos activités de sensibilisation dans les écoles de la région de la Kara au nord du Togo, nous avons vu des élèves enceintes et la conception remonte au début de la mise en œuvre des mesures restrictives. Les services de planification familiale pour les femmes ne sont plus actifs pour mettre à la disposition de ces dernières des moyens de contraception. De même, la peur des femmes de se rendre dans les centres de santé, l’absence d’activités pour les hommes et les femmes, l’alcoolisme des hommes ont favorisé des rapports sexuels réguliers et non protégés.

Avec la fermeture des écoles et les centres de formation, et en l’absence des sensibilisations sur la santé sexuelle, et la suspension des approvisionnements en produits de première nécessité en santé sexuelle au profit des autres produits de limitation de la crise, les jeunes filles se sont adonnées au sexe comme un moyen de distraction et parfois contre des faveurs. La baisse de revenu économique de la femme dans les foyers ne lui permet pas de s’acheter les contraceptives.

Des organisations féminines togolaises ont récemment tiré la sonnette d’alarme sur la recrudescence des violences domestiques et celles basées sur le genre. Comment expliquer cette montée de violences liée au genre en pleine crise sanitaire ?

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les mesures restrictives ayant provoqué une crise économique chez les femmes, elles les ont rendues victimes des violences de tout genre. N’ayant plus d’activités et de revenu, elles sont obligées de faire la courbette chez les hommes afin de pouvoir subvenir à leurs besoins ménagers.

L’exploitation des jeunes filles qui sortent dans la rue à la recherche du travail, exposées à des viols, l’alcoolisme, le stress, l’oisiveté et l’insécurité économique de la femme l’exposent à plus de violences. Les jeunes, en particulier, les filles sont marginalisées et exposées aux désirs sexuels abandonnant de côté leurs cahiers. Le stress lié à la pandémie a beaucoup provoqué les violences et les grossesses indésirables.

Quel est le niveau de représentation des femmes dans la gestion de la pandémie ?

Au-delà de leur engagement dans les organisations féminines, les femmes font des efforts personnels pour lutter contre cette crise. Les femmes ont été en première ligne dans la lutte contre la Covid-19 et pourtant lorsqu’il s’est agit de prendre la parole, ce sont les hommes qu’on a entendus. La représentativité de la femme dans les instances de décision est très faible et à revoir tant dans les laboratoires que dans les comités de gestion. La place de la jeune femme ou fille encore dérisoire.

Pensez-vous que des réponses « genrées » seraient plus efficaces contre la Covid-19 ?

C’est une évidence pour nous car on ne peut en aucun cas réussir vraiment une lutte en excluant la majorité. Nous pensons que pour une riposte efficace les gouvernements devront inclure le leadership des femmes, puis inclure dans les plans de réponse des programmes de sensibilisation le genre et l’inclusion. Pour traverser efficacement la crise, les valeurs des femmes doivent être valorisées.

Il s’agit par exemple de la connectivité, l’humilité, la sociabilité, la transparence, la fiabilité, la patience, la rigueur, l’anticipation, le réflexe de trouver des solutions à des problème très pressants etc. Toutes ces valeurs sont celles dont le monde à besoin pour faire face à la crise. Il est très important d’impliquer les femmes dans ce processus de riposte. Qui sait, le moyen le plus efficace pour faire taire cette crise peut venir de l’ingéniosité d’une femme !

D’ailleurs certains pays dirigés par des femmes gèrent plus efficacement cette crise sanitaire. Il s’agit de l’Allemagne, la Finlande, le Danemark, La Nouvelle Zélande, la Norvège etc. Pour ne citer que ceux là. Les investigations révèlent que les qualités féminines précitées ont été des traits communs de succès de ces femmes.

Les droits à la santé sexuelle des jeunes filles n’étaient pas totalement respectés en période normale, comment sauvegarder la vie, les droits des femmes et des filles en cette période de COVID-19 ?

Pour sauvegarder la vie et les droits des femmes à la santé, il faudra systématiquement rouvrir les centres de planification familiale, remettre en place les programmes de sensibilisation sur l’autonomisation de la femme, animer des émissions radio télé, faire des affiches sur la santé sexuelle de la femme et jeune fille. Il faudra également poursuivre le renforcement des actions de lutte contre les violences faites aux femmes et jeunes.

L’intégration d’une perspective de genre au plan de réponse sanitaire avec par exemple la fourniture d’équipements de protection adaptés aux femmes revendeuses ou ambulantes ; la mise en place d’un programme spécial de crédit à intérêt zéro pour les femmes pour la relance des activités économiques génératrice de revenu, sont autant de solutions pour sauvegarder l’autonomie des femmes

Le renforcement des activités génératrices de revenus des femmes et filles, la disponibilité des moyens de contraception, l’existence d’un numéro vers anonyme d’écoute des femmes victimes de violences sont autant de moyens pour garantir les droits des femmes. Comme le Numéro vert (111) de la Covid-19, il faudra créer une ligne pour gérer les violences faites aux femmes. De même, il faudra renforcer la coordination entre les différents acteurs juridique, sanitaires, sociaux impliqués dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

L’intégration d’une perspective de genre au plan de réponse sanitaire avec par exemple la fourniture d’équipements de protection adaptés aux femmes revendeuses ou ambulantes ; la mise en place d’un programme spécial de crédit à intérêt zéro pour les femmes pour la relance des activités économiques génératrice de revenu, sont autant de solutions pour sauvegarder l’autonomie des femmes.

Nous encourageons tous les acteurs impliqués à poursuivre la lutte contre la COVID-19 dans une dynamique inclusive et participative pour ne pas engendrer d’autres problèmes plus graves à la fin de la pandémie. Nous lançons un appel aux partenaires techniques et financiers d’accompagner les organisations féminines dans cette phase de résilience de lutte contre la COVID-19.


Crédit photo : afd.fr

Dosseh Mokpokpo

 

Dosseh Mokpokpo M. D. est directrice de l’ONG CAFE (Cercle d’aide femme-enfant). Elle est également conseillère municipale à la commune Golfe 1 et consultante indépendante dans le domaine de l’autonomisation et de défense des droits de la femme et de la jeune fille. Elle assure la coordination de la Coalition des organisations de la société civile pour un développement inclusif (COSCIDI) et est membre plusieurs réseaux nationaux et internationaux.

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