Religions et médias au Ghana et au Togo, 2018

Religions et médias au Ghana et au Togo, 2018

Auteur : Etienne Damone

Organisation Affiliée: Open Edition Journal

Type de Publication : Article

Date de Publication : 2018

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

L’irruption de la communication religieuse sur la scène médiatique semble être l’un des phénomènes majeurs de ces dernières décennies au Ghana et au Togo. Non seulement les groupes religieux ont créé de nombreuses stations de radio et de télévision, mais ils recourent également aux médias non religieux. Ces derniers n’hésitent pas eux-mêmes à faire une grande place aux contenus religieux dans leur programmation. Cette situation révèle une relation spécifique entre médias et religions. 

Analyser le rapport entre médias et religions d’un point de vue info-communicationnel

Si la distinction entre médias et religions se résume à une opposition entre modernité et passé, alors ils appartiennent à deux réalités distinctes. Une telle conception induit logiquement une césure complète et radicale entre les deux domaines, et revient à conclure, avec Bernard Dagenais, que religion et médias appartiennent à des univers distincts, voire opposés.

Il est possible néanmoins de développer une conception alternative à cette représentation dichotomique : si les médias figurent le progressisme, la religion n’est pas pour autant nécessairement intégriste ou traditionaliste, si on considère par exemple les possibilités de mutations ou de réformes dont témoigne l’histoire des religions. Le rapport de la religion aux médias évolue également dans le temps. Les religions ne se contentent plus de transmettre des informations aux médias, elles veulent aussi communiquer et participer aux débats sur les sujets qui préoccupent les sociétés contemporaines.

La seconde tendance assimile médias et religions en une unique réalité religieuse ou médiatique selon le point de vue défendu ou l’angle d’analyse retenu. C’est ce que font certains chercheurs américains, en particulier Stolow et Zito. Leurs analysent font penser qu’ils considèrent les grandes religions, en particulier les Églises institutionnalisées, comme le diraient Bréchon et Willaime, comme des formes de médias ou des systèmes de communication que l’on pourrait aborder de la même manière que les médias contemporains.

Contribution de la religion à la démocratisation du secteur médiatique

L’une des explications plausibles du rapport entre religion et médias dans les deux pays étudiés est que la religion a participé à l’essor du secteur privé médiatique. Non seulement les Églises catholiques, luthériennes et méthodistes ont soutenu les revendications pour l’accès de tous à la parole publique, mais les nouvelles Églises évangéliques ont contribué également à financer les médias privés et à leur fournir des contenus. Elles sont devenues elles-mêmes par ailleurs des actrices majeures de la diversification de l’offre médiatique les différentes composantes religieuses ayant obtenu à partir de 1998 au Togo des fréquences de radio et de télévision.

Fourniture de contenus aux nouveaux médias

À la faveur de la libéralisation de l’espace audiovisuel intervenue au début des années 1990 en Afrique subsaharienne, on a assisté au surgissement progressif d’une multitude de stations de radio et de chaînes de télévision avec l’ambition de constituer des sources d’information alternatives par rapport aux médias d’État. Les radios et les chaînes de télévision privées ont cependant vite déchanté devant l’hostilité de nombreux pouvoirs dictatoriaux qui avaient libéralisé le secteur sans pour autant libérer la parole.

L’une des explications plausibles du rapport entre religion et médias dans les deux pays étudiés est que la religion a participé à l’essor du secteur privé médiatique. Non seulement les Églises catholiques, luthériennes et méthodistes ont soutenu les revendications pour l’accès de tous à la parole publique, mais les nouvelles Églises évangéliques ont contribué également à financer les médias privés et à leur fournir des contenus

Ces jeunes médias se sont alors repliés craintivement sur le divertissement de leurs publics en diffusant de la musique et des faits divers. Très vite, cependant, elles ont trouvé dans la religion un domaine « providentiel » qui leur a permis de développer des contenus et de prolonger leur espérance de vie. Tant et si bien qu’est apparue une véritable surenchère de programmes religieux. Beaucoup de radios et de télévisions privées ont pu survivre en vendant ou en louant des plages horaires aux responsables religieux, alors leurs seuls partenaires.

Financement des médias privés

Les groupes religieux constituent de surcroît, pour les médias, une vraie source de financement. « Au Togo, c’est la télévision qui capte presque toute la publicité commerciale », se plaignait en 2005 Sodji Kouanvi de la radio commerciale Fréquence. Par conséquent, « nombre de stations de radios survivent grâce à la générosité des groupes religieux qui donnent sans compter pour avoir en retour 45 minutes ou une heure d’antenne », poursuivait-il. En réalité, ce phénomène ne venait pas d’apparaître. L’Institut Panos d’Afrique de l’Ouest publiait déjà en 2001 dans la revue Médiasphère un article intitulé : « Togo – Les radios vivent des deniers de l’Église ».

L’auteur décrivait une situation de collusion entre les institutions religieuses et les radios privées : « Le contexte économique est morose, mais les radios privées se multiplient. Le miracle est d’essence divine. En effet, pour vivre les radios vendent leurs tranches horaires aux Églises les plus offrantes pour une guerre des prêches et une pêche aux fidèles. »

Développement d’un secteur médiatique religieux

Certains responsables religieux ont par ailleurs contribué à la démocratisation des médias en s’instituant eux-mêmes comme acteurs du jeu médiatique. En effet, non contents d’accéder aux médias existants, les groupes religieux ont créé leurs propres moyens de communication. La liste officielle des médias disponible sur le site institutionnel de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication du Togo fait état en 2017 de 33 stations de radio religieuses parmi lesquelles 30 sont chrétiennes et 3 musulmanes. C’est exactement deux de moins que le reste du secteur privé (local, commercial et associatif) cumulé. Le secteur religieux compte également trois chaînes de télévision sur les cinq privées que compte le pays.

Si le développement du secteur religieux a contribué à diversifier l’offre médiatique, il a aussi provoqué l’épuisement du stock de fréquences disponibles, comme le regrettait, en 2005, le premier vice-président d’alors de la Haac du Togo. « Le quota a été atteint dans la plupart des villes à cause des multiples demandes des groupes religieux. ».

Popularisation et légitimation de nouveaux mouvements religieux

Si les religions ont contribué à démocratiser la communication médiatique, il faut bien reconnaître que les médias ont pour leur part accompagné le renouveau religieux qui a émergé à la fin des années 1980 en Afrique subsaharienne, en particulier au Ghana et au Togo.

Dynamisation du Réveil religieux

Les nouveaux mouvements religieux qui ont provoqué la rencontre avec les médias privés ont émergé au même moment qu’eux, c’est-à-dire au début des années 1990, et à la faveur du même facteur : l’apparition progressive d’un printemps de liberté que les Églises avaient contribué à faire advenir. Beaucoup d’auteurs mettent en effet en avant le rôle des Églises dans la chute des dictatures et l’avènement de la démocratie à travers notamment l’éveil de la société civile Quoi qu’il en soit, le secteur religieux a été parmi les premiers à en capter les retombées puisqu’il a pu s’émanciper de la tutelle de l’État.

On a assisté à partir de là à une véritable « Pentecôte des religions » marquée par une prolifération de nouveaux groupes spirituels, un regain de dynamisme des anciennes institutions, une augmentation de la pratique, une « citadinisation » des nouveaux mouvements et des religions traditionnelles, une conquête de l’espace public, une démonstration de force dans les rues à travers des processions, des campagnes d’évangélisation et de miracles, un prosélytisme exacerbé, une piété exaltée, une multiplication des édifices de culte, une absorption de la culture populaire, une entreprise de moralisation publique…

Légitimation de nouveaux leaders religieux

Ils (Les médias) ont, par la même occasion, légitimé le pouvoir spirituel et l’autorité morale de ces nouveaux dirigeants religieux. Cette légitimation du pouvoir par une approbation populaire à travers les médias est une caractéristique de la démocratisation des sources du pouvoir religieux. La puissance médiatico-publicitaire facteur de renouvellement de la consécration sociale qu’évoque Olivier Donnat peut donc être rappelée ici. Sans compter que les médias induisent également des mutations religieuses dans la mesure où la rencontre entre les deux domaines a entraîné des mutations au sein du système religieux.

Accompagnement des mutations dans les pratiques religieuses

Une approche info-communicationnelle des rapports entre religions et médias nécessite de mettre au centre de l’analyse le contexte social au sein duquel ils se développent. Les cas du Ghana et du Togo constituent en quelque sorte des illustrations de la façon dont peut s’opérer la rencontre entre les deux systèmes. Dans des sociétés où la religion occupe une place importante, les systèmes religieux et médiatiques font appel l’un à l’autre dans une interdépendance constante au point que, peu à peu, chacun porte en lui la marque de l’autre, et ce, dans des circonstances particulières que nous avons analysées pour ces deux pays.

Nos observations au Ghana et au Togo fournissent une illustration de l’interdépendance entre les trois systèmes social, religieux et médiatique. En effet, il apparaît sur ces deux terrains qu’en s’influençant mutuellement, médias et religions participent par là-même des mutations de la société civile et des systèmes économique, politique, culturel, éducatif. Le système social lui-même alimente les systèmes religieux et médiatique et constitue le lieu de rencontres où s’observent les effets de leur interaction, en même temps que le vecteur essentiel qui dessine les contours de leurs rapports.

 

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