La pandémie de la Covid-19 a été un révélateur des défis à relever dans le domaine de l’éducation au Togo et en Afrique

La pandémie de la Covid-19 a été un révélateur des défis à relever dans le domaine de l’éducation au Togo et en Afrique

Les entretiens de WATHI – Série Covid-19 – Focus Togo

Balakiyém Gnazouyoufei

La pandémie de Covid-19 bouleverse tous les aspects de la vie et de l’organisation de nos sociétés.  Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté vos études en France ?

La pandémie de la Covid-19 n’épargne personne malheureusement. Nous étions sur le chemin du retour d’une compétition de lutte avec l’équipe universitaire lorsque nous avons appris la décision de la fermeture des établissements scolaires et universitaires le 15 Mars 2020 en France. Tous les espaces et lieux de vie sur le campus universitaire ont été fermés notamment les restaurants universitaires, les bibliothèques …

Confinés dans nos petites chambres étudiantes, sans aucun contact, cette période a été très difficile à vivre. J’ai vu ma charge de travail augmenter puisque nous étions obligés de continuer nos missions d’enseignement afin d’assurer la continuité pédagogique.

Beaucoup de nos camarades ont perdu leurs emplois rendant également difficile la vie quotidienne. L’université a mis en place et renforcé son mécanisme d’aide sociale pour venir en aide aux plus nécessiteux. Des associations se sont aussi mobilisées à cet effet. C’est le cas de l’Association des doctorants de Bordeaux qui a distribué des chèques de service à ses membres pour les besoins alimentaires.

Comment la Covid-19 a-t-elle affecté la recherche dans votre université d’accueil en France ?

Tous les centres de recherche et les bibliothèques étant fermés, l’activité de recherche a été considérablement réduite. Néanmoins au sein de l’université de Bordeaux, le service de la bibliothèque a mis en place un système de « Click & Collect » qui permettait aux doctorants de pouvoir commander des livres et de réserver un horaire pour les récupérer. Des efforts ont été consentis pour rendre davantage disponible certaines ressources documentaires en ligne.

Selon vous, le coronavirus va-t-il changer l’organisation de l’enseignement à l’avenir ? A quoi ressemblera le paysage de l’enseignement supérieur demain ?

L’organisation de l’enseignement universitaire est déjà marquée par la Covid-19. Pour cette rentrée universitaire, les cours sont assurés sous un format dit « hybride ». La capacité d’accueil en amphi étant réduite, les cours sont assurés en synchrone avec une partie des étudiants en présentiel et l’autre qui suit le cours  à distance.

Les avis divergent sur cette nouvelle façon d’enseigner particulièrement en droit où les enseignants sont habitués à être présent devant les étudiants. Personnellement, je constate qu’il y a un relâchement des étudiants sans doute en raison de l’isolement créé par cette modalité d’enseignement. Il va falloir réfléchir à un juste équilibre aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants.

A quelles transformations devrait-on s’attendre dans les universités africaines ?

La pandémie de la covid-19 a été un révélateur des défis à relever dans le domaine de l’éducation dans nos pays. Il est désormais impérieux pour les universités africaines et les Etats de consacrer une attention plus soutenue aux technologies de l’information et de la communication et de l’internet.

Quelles nouvelles approches seraient nécessaires selon vous pour faire face à cette situation nouvelle et comment les choses vont-elles évoluer dans l’enseignement supérieur du Togo?

Nos universités doivent prendre le cap du numérique en mettant à disposition des étudiants et des enseignants un plateau numérique pour la recherche et l’enseignement. L’acquisition des ouvrages numériques et l’abonnement aux revues scientifiques est plus qu’une nécessité. Il faudrait aussi former et renforcer les capacités du personnel à l’usage des outils numérique. C’est une révolution numérique qui doit être faite désormais.

Le budget de la recherche doit être revu à la hausse pour permettre aux différents centres de répondre à d’autres éventuelles crises sanitaires. Nous constatons que partout dans le monde se mène une bataille des laboratoires. Nos chercheurs doivent être de ces batailles.

Existe-t-il une communauté togolaise dans votre pays d’accueil ? Si oui, comment s’est-elle organisée pour affronter la crise ? Avez-vous bénéficié d’un appui des services diplomatiques du Togo dans votre pays d’accueil ?

Oui, il existe une communauté togolaise dans la région nouvelle aquitaine organisée autour de l’Association des ressortissants et étudiants togolais à Bordeaux (ARETA). Avec l’aide de certains ainés, l’association a organisé une distribution de kits alimentaires au profit de la communauté étudiante.

Pour ce qui est des services diplomatiques, aucune information ne m’est parvenue. Mais, je doute qu’il y ait eu une organisation quelconque. Cela témoigne d’ailleurs de la distance qui existe entre les ambassades et la diaspora. Pas de contact si ce n’est pour des démarches administratives notamment le renouvellement du passeport.

Au cœur de la crise sanitaire, les universités publiques du Togo ont basculé dans l’enseignement en ligne. Pensez-vous que les établissements supérieurs du Togo aient les moyens de se doter de technologies éducatives pour un enseignement virtuel de qualité ?  Quels en sont les défis ?

Pour un enseignement virtuel de qualité, il faut investir dans les technologies de l’information et de la communication ; disposer d’un accès à internet avec un bon débit. A titre d’exemple, mon université actuelle a investi près de deux millions d’euros dans l’acquisition du matériel pour assurer les cours en synchrone.

Des efforts ont été faits pour assurer la continuité pédagogique dans les universités publiques du Togo, des enseignants ont été formés, mais il faut consolider cet acquis et en faire davantage. Il en va même de la compétitivité de nos universités à l’étranger. Les ressources numériques pouvant contribuer à plus de qualité de l’enseignement.

Quelle est votre appréciation globale de la gestion de la crise sanitaire par les autorités togolaises ? Quelles leçons en tirer ?

L’hécatombe prédit pour le continent africain au début de la pandémie demeure à ce jour une « arlésienne ». La peur était de mise partout au regard de la défaillance de notre système de santé. On peut se réjouir que les chiffres au niveau du continent et du Togo soient aussi bas comparés à ceux au niveau mondial.

L’économie de notre pays est alimentée à près de 70% par le secteur informel. Il fallait donc trouver le moyen de limiter la propagation du virus sans priver les populations de leurs sources de revenu. Le programme Novissi mis en place par le gouvernement a permis tant bien que mal de répondre à cette exigence. Certes, le système était loin d’être parfait, désormais il faut travailler à le rendre meilleur et plus transparent.

Je ne peux que regretter les bavures commises par les forces de l’ordre dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire. Par ailleurs nous espérons, et là c’est mon côté juriste qui parle, que les différentes ordonnances prises dans cette période seront rendues publiques. Il en va de la qualité des enseignements car elles pourront faire l’objet de commentaires de la part de la doctrine universitaire et soumis aux étudiants dans le cadre des enseignements de droit administratif par exemple.

En tenant compte des réalités différentes quelles mesures efficaces de riposte contre la Covid-19 dans votre pays d’accueil peuvent être répliquées au Togo ?

Les contextes sont très différents dans ces deux pays. La justice par exemple a permis en France la remise en cause de certaines mesures prises par le gouvernement. Sous nos cieux bien que des griefs puissent être soulevés contre les mesures, on constate qu’il n’y a quasiment aucune saisine des juges.

La seule fois que la justice a été saisie, elle a rendu une décision pour le moins inique. C’est dire qu’il n’y a pas de méthodes miracles. Il faut juste s’assurer que les mesures prises même en situation d’urgence ne violent pas excessivement les droits et libertés des individus.

Je déplore, par ailleurs,  le manque d’implication des collectivités territoriales dans la gestion de la crise dans notre pays. Elles ont manqué l’occasion de se montrer aux services de leurs populations. J’ose croire que le puissant révélateur qu’a été la pandémie de la Covid-19 permettra aux gouvernants de mieux définir leurs priorités.


Crédit photo : lespanafricaines.com

Balakiyém Gnazouyoufei

 

Balakiyém Gnazouyoufei est doctorant en Droit public au sein de l’Institut Léon Duguit à l’Université de Bordeaux (France).

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