La liberté d’expression et la liberté de presse : Ingrédients clés de la démocratie togolaise, Afrobaromètre, septembre 2021

La liberté d’expression et la liberté de presse : Ingrédients clés de la démocratie togolaise, Afrobaromètre, septembre 2021

Auteurs : Hervé Akinocho et Koffi Amessou Adaba

Organisation affiliée : Afrobaromètre

Type de publication : Enquête

Date de publication : Septembre 2021

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

Introduction

Au Togo, la liberté d’expression est également garantie par la Constitution et protégée par d’autres lois et par les textes internationaux que le gouvernement a ratifié. Mais pour en arriver à la liberté constitutionnelle de 1990, les Togolais ont dû lutter des années durant et continuent d’ailleurs de le faire. Avant les années 1990, la liberté d’expression a fortement souffert au Togo.

C’est pourquoi pendant longtemps, le Togo a été présenté comme « un prédateur de la presse » par Reporters Sans Frontières (RSF). Les mouvements sociopolitiques déclenchés le 5 octobre 1990 ont conduit à une libéralisation de la vie sociopolitique du pays avec une diversification rapide de l’espace médiatique nationale et une euphorie dans l’exercice de nouvelles libertés, notamment la liberté d’expression et de presse. Cela ne s’est pas fait sans des dérapages.

Aujourd’hui, le Togo semble progresser en matière de liberté d’expression. Que ce soient les données des rapports du Baromètre des Médias Africains (2010, 2013, 2017) ou celles des classements du RSF de 2013 à 2020, le Togo enregistre une progression remarquable en ce qui concerne la liberté d’expression et des médias. Pour le Baromètre des Médias Africains (2017), « au Togo, la liberté d’expression est effective. Il est possible aux citoyens de dire ce qu’ils pensent ».

Pluralisme médiatique et accès à l’information

La liberté d’expression et de presse peut être appréciée de plusieurs manières. L’indépendance des médias, la qualité du cadre légal et la sécurité des hommes de médias peuvent servir dans ce sens. Dans une société, cette liberté peut aussi être jaugée par le pluralisme médiatique. Pour Habermas (1978), par exemple, le développement des moyens d’information est une caractéristique fondamentale des sociétés modernes. Or, toute société aspire à la modernité.

Aujourd’hui, le Togo semble progresser en matière de liberté d’expression. Que ce soient les données des rapports du Baromètre des Médias Africains (2010, 2013, 2017) ou celles des classements du RSF de 2013 à 2020, le Togo enregistre une progression remarquable en ce qui concerne la liberté d’expression et des médias. Pour le Baromètre des Médias Africains (2017), « au Togo, la liberté d’expression est effective. Il est possible aux citoyens de dire ce qu’ils pensent »

De plus, la diversité des médias entraîne la diversité de leurs fonctions. Même si cette diversité ne conduit pas toujours à un pluralisme d’informations, elle contribue néanmoins à faciliter leur circulation et accès.

En dehors des téléphones portables, devenus de plus en plus accessibles et qui ont favorisé l’accès aux réseaux sociaux et aux médias en ligne, il y a une prolifération des médias qui animent l’espace de communication au Togo. Que ce soient la presse écrite, les stations de radios (communautaires, commerciales et confessionnelles) ou des chaînes de télévisions (commerciales et confessionnelles), ces médias fournissent des informations diverses. Selon Reporters Sans Frontières (2021), le Togo disposerait de plus de 171 titres, 74 radios et une dizaine de chaînes de télévisions pour une population d’environ 8.5 millions d’habitants.

Parmi les sources d’information, la radio reste la plus écoutée par les Togolais (79% « tous les jours » ou « quelques fois par semaine »), suivie de la télévision (48%). La presse écrite est la source la plus inaccessible aux citoyens, car seul 9% des adultes y accèdent régulièrement. Cette faible consommation de la presse écrite pourrait s’expliquer par la faible disponibilité de cette dernière en dehors de la capitale et des grandes villes de l’intérieur dû au faible tirage de la plupart des titres et au manque d’un réseau national de distribution. La presse écrite togolaise reste donc un fait essentiellement urbain.

Liberté d’expression individuelle au Togo

La liberté d’expression individuelle revient à la liberté de se faire une opinion sur n’importe quel sujet, de la diffuser mais également de recevoir celle d’autrui. Cette liberté d’opinion permet aux citoyens de rechercher, de diffuser et de recevoir des informations. Et si la liberté d’opinion est nécessaire pour tout citoyen, elle l’est aussi nécessairement pour la société dans son ensemble.

Malgré la libéralisation de l’espace public et politique depuis les années 1990, la majorité (54%) des citoyens togolais ne se sentent « pas très libres » voire « pas du tout libres » d’exprimer leurs opinions. Ils sont 46% de Togolais à se sentir libres d’exprimer leur opinion, dont 11% qui se sentent « entièrement libres ».

Au Togo, les effets du système de parti unique de fait ou de droit qui ont déterminé la liberté d’expression depuis les années 1960 continuent de peser sur la conscience collective. Les restrictions de la liberté d’expression, surtout en ce qui concerne les questions politiques, ont mis en place un traumatisme historique qui ne s’est pas encore dissipé dans le pays

La liberté d’expression des citoyens au Togo évolue en dent de scie. Entre 2012 et 2021, la proportion de personnes se disant « assez libres » ou « entièrement libres » d’exprimer leurs opinions oscille entre 39% et 60%, enregistrant un recul de juste 3 points de pourcentage (pas statistiquement significatif) sur la période.

Discussion politique

Au Togo, les effets du système de parti unique de fait ou de droit qui ont déterminé la liberté d’expression depuis les années 1960 continuent de peser sur la conscience collective. Les restrictions de la liberté d’expression, surtout en ce qui concerne les questions politiques, ont mis en place un traumatisme historique qui ne s’est pas encore dissipé dans le pays.

Les opinions politiques divergentes de celles du parti au pouvoir étaient sévèrement réprimées. Cette situation a rendu très sensible les discussions relatives à la politique chez les Togolais. La méfiance devient la règle à chaque fois que les Togolais devraient discuter de politique.

Ainsi, si le sentiment de ne pas se sentir libre d’exprimer ses opinions est majoritaire, il faut remarquer que ce sont trois adultes togolais sur quatre (75%) qui affirment que les gens doivent « souvent » ou « toujours » faire attention à ce qu’ils disent en politique.

Liberté de la presse en progression au Togo

La liberté de la presse est, tout comme la liberté d’expression individuelle, garantie par la Constitution avec un ensemble de lois. Mais il n’en demeure pas moins que seuls 45% des Togolais déclarent que les médias sont « assez libres » ou « entièrement libres ». A l’opposé, ils sont 53% à trouver que les médias ne sont « pas très libres » ou « pas du tout libres ».

La pauvreté vécue est positivement corrélée avec la perception de la liberté de la presse au Togo, allant de 39% chez les plus pauvres jusqu’à 52% des plus nantis.

Les perceptions sur la liberté d’expression seraient-elles déterminées par le « traumatisme historique » au Togo ?

La presse togolaise peut être qualifiée d’une « presse de combat ». Elle était à la fois au service du maintien de la colonisation et utilisée comme une arme pour éveiller les consciences en vue d’obtenir l’indépendance. Le Togo est l’un des rares pays africains à avoir connu trois colonisateurs : le protectorat allemand (1884-1914) et ses deux partages (août 1914 et juillet 1919) entre les Anglais et les Français, victorieux de la première guerre mondiale. Sous la domination allemande, les Togolais n’avaient pas le droit de publier leur propre journal.

La pauvreté vécue est positivement corrélée avec la perception de la liberté de la presse au Togo, allant de 39% chez les plus pauvres jusqu’à 52% des plus nantis

Cependant, Batchana (2013) relève « l’impossible musellement de la parole » des Togolais contestant l’autorité coloniale dans les journaux des colonies voisines. En l’absence d’une liberté de presse,

Il y ressort que les Togolais utilisèrent habilement « la frontière » pour dénoncer l’autorité établie à travers les journaux de la Gold Coast (l’actuel Ghana) et du Dahomey (l’actuel Bénin).

Aspirations en matière de liberté d’expression individuelle

Les aspirations en matière de liberté d’expression qu’expriment les citoyens sont les construits de leurs besoins en la matière. Les politiques publiques peuvent s’en servir pour améliorer le cadre réglementaire de la liberté d’expression et de presse. Cela étant, mêmes les libertés acquises s’exercent toujours dans le cadre bien précis de la loi. La loi fixe donc les conditions dans lesquelles des libertés peuvent être limitées. C’est ainsi que pour des besoins de sécurité ou d’investigation, les autorités administratives ou judiciaires peuvent parfois demander la surveillance des communications privées des citoyens. 

Aspirations en matière de liberté de la presse

En ce qui concerne l’aspiration des populations togolaises à la liberté de la presse, il y a 65% qui estiment que les médias devraient être libres de publier n’importe quelles opinions ou idées sans le contrôle du gouvernement, y compris 29% qui sont « tout à fait d’accord » avec cette affirmation. A contrario, ils sont 33% à penser que le gouvernement devrait pouvoir interdire aux médias de publier des choses qu’il désapprouve.

Régulation du contenu des médias y compris les réseaux sociaux

Il n’y a pas que cette institution gouvernementale qui régule les médias au Togo. Les professionnels des médias ont aussi mis en place leur propre institution de régulation. Il s’agit de l’Observatoire des Médias Togolais (OMT), créé en 1999 par les journalistes eux-mêmes et constituant ainsi un tribunal des pairs. Cette institution se veut d’amener les professionnels des médias au respect des règles qu’ils se sont fixées eux-mêmes dans le cadre de l’exercice de leur fonction.

Les politiques publiques peuvent s’en servir pour améliorer le cadre réglementaire de la liberté d’expression et de presse. Cela étant, mêmes les libertés acquises s’exercent toujours dans le cadre bien précis de la loi. La loi fixe donc les conditions dans lesquelles des libertés peuvent être limitées. C’est ainsi que pour des besoins de sécurité ou d’investigation, les autorités administratives ou judiciaires peuvent parfois demander la surveillance des communications privées des citoyens

Dans ce sens, il joue un rôle d’autorégulation pour améliorer les contenus, la déontologie et l’éthique dans les médias. La régulation des médias relève donc de la compétence de la HAAC qui est aussi soutenue dans cette tâche par l’OMT. Si la première institution dispose d’un arsenal coercitif, la seconde relève plus du pouvoir moral.

Quelle corrélation existe-t-il entre les libertés d’expression et des médias et la demande et l’offre de démocratie ?

Les citoyens qui pensent qu’ils sont libres d’exprimer leurs opinions ont une probabilité de 1,535 fois plus grande de trouver que le pays est démocratique et d’être satisfait de la manière dont fonctionne la démocratie que ceux qui pensent ne pas être libres d’exprimer leurs opinions. Se sentir libre d’exprimer son opinion n’a par contre aucun effet sur le rejet des alternatives autoritaires de pouvoirs et la préférence pour la démocratie à toute autre forme de gouvernance.

au niveau des libertés individuelles, nous n’observons pas de corrélation entre la demande/l’offre de démocratie et des indicateurs comme le fait de penser qu’on doit faire attention à ce qu’on dit en politique, que l’accès aux réseaux sociaux devrait être protégé, que le droit à la communication privée devrait être protégé, que le gouvernement devrait limiter ou interdire le partage de fausses nouvelles, que le gouvernement ne devrait pas limiter ou interdire le partage de nouvelles qu’il désapprouve, que le gouvernement ne devrait pas limiter ou interdire le partage de nouvelles qui critiquent ou insultent le Président de la République, et que le gouvernement devrait limiter ou interdire le partage de tout discours de haine.

Au niveau des libertés des médias, lorsque les citoyens trouvent que les médias sont libres de diffuser et de commenter l’actualité sans censure ni ingérence du gouvernement, cela multiplie par 2,056 fois leur chance de trouver que le pays est démocratique et d’être satisfait de la manière dont fonctionne sa démocratie par rapport à ceux qui pensent le contraire. Cette perception de la liberté des médias n’influence pas le rejet des régimes autoritaires et la préférence pour la démocratie par rapport à toute autre forme de gouvernance.

Conclusion

Les Togolais soutiennent une presse libre de publier n’importe quelles informations et opinions sans ingérence gouvernementale en invitant les médias à enquêter et à publier suffisamment les informations sur les erreurs du gouvernement et la corruption. Ils sont également majoritaires en exigeant une protection des conversations privées et un libre accès à l’Internet et aux réseaux sociaux.

Cependant, ils aspirent accéder à des contenus de qualité des médias en prenant position contre la diffusion de fausses informations et de tout discours de haine envers n’importe quelle couche sociale. La démocratie étant liée à ces libertés, les analyses économétriques révèlent que les Togolais qui se sentent libres d’exprimer leurs opinions ou qui estiment que les médias sont libres sont ceux qui sont plus satisfaits du niveau et du fonctionnement de leur démocratie.

De même, les Togolais qui soutiennent que les médias devraient publier sur la corruption et les erreurs du gouvernement sont ceux qui rejettent plus les régimes autoritaires et préfèrent la démocratie comme système de gouvernance.

 

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