Togo : comment lutter efficacement contre le fléau de la corruption ? , The Conversation, 2023

Togo : comment lutter efficacement contre le fléau de la corruption ? , The Conversation, 2023

Auteur : Yawovi Agbonku

Site de publication : The Conversation

Type de publication : Article

Date de publication :  Mars 2023

 

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Ambiguïté politique

Juridiquement, l’État togolais s’est souvent doté de textes qui visent à endiguer le phénomène de la corruption. 

Les sanctions encourues, définies par le Code pénal art. 208, vont d’un à cinq ans d’emprisonnement, selon la gravité de l’acte.

L’État togolais excelle dans la production de textes, mais le vrai problème réside dans leur application. Car les garants de la loi incarnent, bien souvent, tout le contraire. Un récent rapport sur la corruption au Togo commandé par la HAPLUCIA, révèle que « la corruption fait intervenir d’un côté les initiateurs constitués de riches (77,2 %), d’hommes puissants de tous les secteurs (57,2 %) » et de l’autre « les composantes de la société qui cèdent le plus à la corruption sont les agents de la justice (70 %) et les financiers ou comptables (43,3 %) ». 

Du fait de cette interrogation, la création de la HAPLUCIA, énième organisme public destiné à traiter de ces affaires, semble être au mieux un trompe-l’œil en réponse aux demandes des acteurs internationaux, visant à collecter des subventions qui seront ensuite redistribuées entre amis ; au pire un moyen de surveiller un peu plus les acteurs sociaux qui voudraient changer les choses. 

Qu’en est-il de la société civile ?

L’idée selon laquelle la corruption serait un « sport national » au Togo évoque deux dimensions de la corruption : une dimension interindividuelle et une institutionnelle.

La corruption institutionnelle se manifeste par des abus de pouvoir, des détournements de fonds, la corruption des élites, des fonctionnaires publics, des agents de la justice…

La corruption interindividuelle, quant à elle, se manifeste dans différents secteurs de la vie sociale : un agent qui vous permet d’éviter l’attente dans un service public moyennant un bakchich ou qui en encaisse auprès des usagers de la route au lieu de leur infliger une amende pour infraction (corruption active). Mais elle est aussi à l’œuvre quand l’usager remet systématiquement de l’argent à l’agent pour éviter des réprimandes ou une contravention (corruption passive).

Dans presque toutes les activités socioéconomiques, les relations sociales, familiales… la corruption reste assez présente, même dans les cadres religieux où les valeurs morales sont censées primer.

Dans l’éducation, on peut citer l’absentéisme systémique des enseignants, et les cours de répétition payants organisés dans les établissements scolaires publics comme privés, du CP à la terminale, pour compléter les salaires insuffisants des enseignants et aussi pour relever le niveau des élèves. Il arrive même que de bonnes notes soient données à des élèves contre des faveurs sexuelles, des faveurs financières ou d’autres formes de reconnaissance de la part des parents.

Il est indéniable que la corruption est un fléau qui endommage les structures socioéconomiques de la société togolaise et trouble sa cohésion sociale. Son rapport avec la question des inégalités est très clair. Sans même parler des élections, qui constituent un vaste réseau de corruption. 

Corruption et inégalités au Togo

Le lien entre la corruption et les inégalités se vérifie clairement au Togo. Selon le rapport précité (et controversé), les citoyens togolais pensent que les principales causes de la corruption au Togo sont la pauvreté (77 %) suivie de la faiblesse des salaires ou des revenus (56,1 %). Le salaire minimum garanti (SMIG) est de 35 000 francs CFA (environ 53 euros), depuis janvier 2012, et la majorité des Togolais vivent au jour le jour. De même, les écarts de revenus entre les plus riches et la majorité de la population sont criants, ce qui pousse certains habitants à se trouver d’autres sources de revenus à travers la corruption. 

Les conséquences sont nombreuses : la destruction des services publics, la dégradation des structures socioéducatives et sanitaires, la vétusté des infrastructures… Même les relations sociales en pâtissent, surtout en termes d’accueil et de prise en charge. Avec la centralité des reconnaissances pécuniaires qui rend certains dépendants, et la vétusté des infrastructures, les personnels sont désengagés et oublient des valeurs essentielles de dignité humaine. 

Quelles perspectives ?

Le Togo est gangrené par la corruption. Au classement mondial établi par Transparency International, le pays se positionne à la 134e position sur 180, avec un score de 29 points. Le score moyen est de 43/100 dans le monde et de 32/100 en Afrique subsaharienne. Pour s’améliorer, la population et le gouvernement doivent mener des actions concrètes.

Au niveau de la population, il faut une prise de conscience de l’impact de la corruption sur la qualité des services publics par une éducation citoyenne, et des actions exemplaires, à savoir des sensibilisations adaptées et des formations au contrôle citoyen conduites par les organisations de la société civile, qui doivent notamment s’effectuer à travers des visites surprises dans les services publics. Celles-ci doivent être le fait des populations locales, car elles seraient les plus aptes à les réaliser : c’est le contrôle local. 

Quant au gouvernement, il doit :

  • Augmenter les salaires des fonctionnaires publics et la grille salariale ;
  • Rehausser le niveau de vie des citoyens dans l’ensemble, en mettant en place des fonds d’aides sociales ;
  • Mettre en place une bonne politique fiscale, et une dématérialisation des paiements dans le service public pour mettre fin à des formes d’encaissements illégaux ;
  • Surveiller et punir les actes de corruption, conformément à la loi, sans distinction. Cela ne passera que par une justice indépendante ;
  • Mettre en place une décentralisation effective pour permettre le contrôle citoyen nécessaire à toute démocratie ;
  • Rendre publics les rapports sur la corruption, les résultats des enquêtes et la déclaration des biens des membres du gouvernement.