Togo : comment la réforme constitutionnelle va renforcer le pouvoir du Parlement, The Conversation, Avril 2024

Togo : comment la réforme constitutionnelle va renforcer le pouvoir du Parlement, The Conversation, Avril 2024

Auteur : Koffi Améssou Adaba

Site de publication : The Conversation

Type de publication : Article

Date de publication : Avril 2024

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Le 25 mars 2024, le Togo a adopté une nouvelle Constitution qui transforme son système présidentiel en régime parlementaire. Le parlement aura désormais le pouvoir d’élire le président de la République.

Cette évolution majeure permettra probablement au président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, de prolonger son règne de 19 ans d’une année et d’un mandat de plus.

Cette réforme, adoptée en première lecture par les députés, n’est pas du goût de l’opposition qui parle de “coup d’État constitutionnel”. La loi a été envoyée à l’Assemblée nationale pour seconde lecture

Fondamentalement, la nouvelle proposition de révision de la Constitution met en place un régime parlementaire qui favorise une grande collaboration entre l’exécutif et le législatif. A la tête de l’exécutif, il y a deux chefs : un président de la République (chef de l’État), qui dispose des pouvoirs symboliques et un président du Conseil des ministres (chef du gouvernement), qui conduit la politique de la nation et qui est le chef de la majorité parlementaire. Les institutions de la République font l’objet d’une profonde réforme.

Il faut noter qu’en trois décennies, la Constitution est en train de faire l’objet de sa quatrième modification (2002, 2007, 2019 et 2024). C’est la deuxième fois que la sixième législature procède à une modification constitutionnelle (de 2018 à 2024).

Toutes les raisons avancées pour justifier cette nouvelle modification auraient pour fondement de renforcer la démocratie, d’assurer une meilleure protection des droits et libertés des citoyens, et de rendre les institutions plus efficaces et plus représentatives. L’équilibre des pouvoirs instauré par l’ancienne Constitution via le régime semi-présidentiel aurait atteint ses limites.

Pour tout acteur démocratique, de telles raisons, a priori, ne peuvent qu’être légitimes. En dehors de ces arguments, on pourrait songer aux coûts des élections en général et la nécessité de réduire certaines d’entre elles. Mais, il serait encore intéressant de faire un bilan de la mise en application de l’ancienne Constitution avant toute proposition d’une nouvelle révision. Une telle démarche permettra de faire le point sur les avantages et surtout les difficultés de mise en œuvre de l’ancienne Constitution.

Avec la nouvelle révision constitutionnelle, le Togo instaure un système de séparation souple des pouvoirs. Avec l’ancienne Constitution, le Togo était dans un régime où chaque pouvoir était désigné directement par le peuple. Le législatif peut mettre fin à l’exécutif et inversement pour des raisons politiques. C’était un régime qui n’était ni présidentiel, ni parlementaire.

Avec la nouvelle révision constitutionnelle, on se retrouve avec une parfaite collaboration entre le législatif et l’exécutif en matière législative. Mais chaque pouvoir peut mettre fin au mandat de l’autre. Le pouvoir exécutif est incarné désormais par deux institutions : le président du Conseil des ministres et le président de la République. Ce dernier ne gouverne pas. Mais leur source de légitimité demeure le parlement.

Toutes les raisons avancées pour justifier cette nouvelle modification auraient pour fondement de renforcer la démocratie, d’assurer une meilleure protection des droits et libertés des citoyens, et de rendre les institutions plus efficaces et plus représentatives. L’équilibre des pouvoirs instauré par l’ancienne Constitution via le régime semi-présidentiel aurait atteint ses limites

Par rapport au pouvoir judiciaire, les juges de la Cour constitutionnelle sont nommés par le président du Conseil des ministres, par le parlement et par le Conseil supérieur de la magistrature à raison d’un quota de tiers pour chaque institution.

En réalité, le président de la République n’a aucun pouvoir, si et seulement si, chacun d’eux respecte le rôle que la nouvelle Constitution lui donne. De plus, même au niveau de leur élection, le président de la République peut provenir de n’importe quel parti politique, plus petit soit-il, pourvu qu’il soit élu par la majorité parlementaire.

Avec la nouvelle révision en cours (le président Faure Gnassingbé a renvoyé le texte devant l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture),ce qui change fondamentalement reste le déplacement des enjeux portés sur l’élection présidentielle vers les élections législatives.

Désormais, les législatives pourront susciter plus d’engouement chez les Togolais que l’élection présidentielle de la Constitution actuelle. De plus, le multipartisme pourrait aussi subir des modifications par la collaboration des petits partis politiques. Ces derniers pourront évoluer vers de grands ensembles partisans. Cependant, le fait que le président du Conseil – qui va pratiquement jouer les mêmes rôles que jouait le président de la République dans l’actuelle Constitution – soit élu non pas directement par le peuple togolais mais par ses représentants laisse entrevoir une diminution du pouvoir du peuple au profit de ses représentants.

J’imagine mal Faure Gnassingbé actuellement, devenir le “président de la République” sous la nouvelle Constitution qui propose deux présidents: le président du Conseil et le président de la République. Ce dernier n’a aucun pouvoir et n’a pas besoin d’être de la majorité parlementaire. Le président du Conseil garde pratiquement tous les pouvoirs que disposait le président sous l’ancienne Constitution.

Parler de “coup d’État constitutionnel” me semble discutable dans la mesure où le parlement togolais n’est pas à sa première modification constitutionnelle. Mais si l’opposition considère la révision en cours comme un changement de Constitution alors elle n’aurait pas tort de parler de “coup d’État constitutionnel” à cause de l’absence du référendum.