Auteurs : Joseph Koffi N. Tsigbe
Site de publication : togo.gouv
Type de publication : Rapport
Date de publication : Janvier 2023
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Introduction
Dans le cadre des préparatifs du Sommet sur la transformation de l’éducation devant se tenir à New York en septembre 2022, l’Unesco a organisé fin juin 2022, un pré-sommet auquel ont participé plus de 140 ministres de l’éducation, des responsables politiques, des chefs d’entreprise, de jeunes militants. L’objectif poursuivi par cette initiative est d’élaborer une feuille de route pour la transformation de l’éducation à l’échelle mondiale. Se pose alors la question de savoir pourquoi a-t-on senti le besoin de transformer l’éducation ? L’Unesco répond à cette question à partir de deux constats majeurs :
– Impossibilité pour le système éducatif mondial de relever, dans sa forme actuelle, les grands défis mondiaux, tels, le réchauffement climatique, la révolution numérique, les inégalités croissantes, le recul démocratique, etc.
– Impossibilité pour ce système éducatif de fournir à tous un apprentissage de qualité tout au long de la vie ; par ricochet, impossibilité d’atteindre l’ODD4 à l’horizon 2030.
Faisant suite à ces constats, une feuille de route a été élaborée par l’Unesco qui suggère, entre autres, de signer un nouveau contrat social pour l’éducation, destiné à unir différents acteurs « autour d’initiatives collectives et à fournir les connaissances et l’innovation nécessaires pour façonner un monde meilleur, ancré dans la justice sociale, économique et environnementale ».
La feuille de route de l’Unesco identifie quatre domaines majeurs qui doivent être reformes pour relever le défi de la transformation de l’éducation. Il s’agit des écoles inclusives, équitables, sures et saines ; apprentissage et compétences pour la vie, le travail et le développement durable ; enseignants, enseignement et profession enseignante ; apprentissage et transformation numériques.
Que disent les diagnostics sur l’état de la formation des enseignants dans le système éducatif togolais ?
Pour répondre à cette question, je m’appuierai sur deux documents essentiels : le Rapport 2019 du Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN (PASEC) sur la qualité des systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone. Performances et environnement de l’enseignement- apprentissage au primaire d’une part, et le Rapport final des consultations nationales sur le développement de la vision commune de l’avenir de l’éducation et le renforcement de l’engagement politique et public (septembre 2022).
Il apparait selon le PASEC (2019), que la tendance générale en Afrique subsaharienne en matière de recrutement des enseignants est en faveur de jeunes enseignants ne bénéficiant pas suffisamment, la plupart du temps, d’un accompagnement adéquat pouvant compenser le manque d’expériences (conseils pédagogiques, inspections, etc.), même si des études ont montré que la durée dans la profession enseignante n’a pas toujours un effet positif sur les acquis des enlevés.
De façon générale, poursuit l’évaluation, les enseignants de cette partie du continent africain entrent dans la profession enseignante avec les limites ci-après : un faible niveau de formation des enseignants, la baisse de la durée de leur formation professionnelle initiale, occasionnée par la recherche de l’amélioration de l’accès à l’éducation dans le cadre de Éducation Pour Tous (EPT), la formation continue, purement d’ordre technique et didactique, et qui concerne, entre autres, la formation de longue durée, la formation par des pairs ou le mentorat, les séminaires, les lectures personnelles, les ateliers de formation est non seulement très insuffisante, mais aussi et surtout, les opportunités pour y accéder sont moyennes ou mauvaises (près de 70 % des enseignants enquêtes dans le cadre de l’évaluation du PASEC).
Même là où la formation continue existe de façon suffisante, elle ne donne pas toujours satisfaction eu égard aux objectifs qui lui sont assignes, d’où la nécessité de questionner la qualité de ces formations.
Ces diagnostics sont certes globaux. Toutefois, la situation au Togo n’est pas très différente de la cartographie de la région présentée ici.
En effet, dans le Rapport final des consultations nationales sur le développement de la vision commune de l’avenir de l’éducation et le renforcement de l’engagement politique et public (septembre 2022) au Togo, les acteurs interroges ont reconnu « l’insuffisance de compétences des enseignant-e-s. Ce qui confirme […] l’absence de formation initiale pour bon nombre de ces enseignant-e-s ». A cela, s’ajoute l’insuffisante formation continue des enseignants, citée parmi les contraintes qui constituent un frein à la qualité de la profession enseignante.
On peut à̀ bon droit se poser la question de savoir comment on en est arrivé là, surtout quand on sait que, depuis les indépendances, les pouvoirs publics togolais ont fait de la formation des enseignants, un de leurs chevaux de bataille. Bref aperçu des initiatives du gouvernement togolais en matière de formation des enseignant.
Au lendemain de l’indépendance du Togo, les pouvoirs publics ont cru devoir rythmer le système éducatif togolais sur les orientations générales que donnait à̀ ce secteur, la communauté africaine, à travers une série de conférences dont les plus importantes furent celles d’Addis-Abeba, d’Abidjan et de Nairobi.
Plus proche de nous, les plans sectoriels de l’éducation (PSE), notamment celui couvrant la période (2020-2030) n’a pas négligé la formation des enseignants. En effet, il met un accent particulier non seulement sur leur recrutement, mais aussi sur leur formation, aussi bien initiale que continue Ce positionnement se justifie par le fait que : « Disposer d’enseignants qualifies est une condition indispensable pour assurer une éducation de qualité ».
Bref aperçu des initiatives du gouvernement togolais en matière de formation des enseignants
D’autres initiatives comme, la politique nationale sur les enseignants, le statut particulier des enseignants, la création de six écoles nationales d’instituteurs, la reprise en main de la formation initiale pour les enseignantes du secondaire général par l’école normale supérieure (ENS), sont autant de preuves que la formation initiale et continue des enseignant-e-s a retenu, pendant plus de six décennies l’attention des autorités éducatives togolaises.
Pour parachever cette rubrique de la volonté politique, on peut citer les initiatives de la feuille de route gouvernementale (2020-2025) qui projette de donner une formation initiale à plus de 90% des enseignants d’ici à l’horizon 2025. Cette forte ambition du gouvernement a créé une émulation à la tête du MEPSTA qui, depuis 2020, a introduit dans le système éducatif, des ruptures avec les anciennes pratiques pour une meilleure qualité de l’enseignement. On peut citer, entre autres, la reforme même des Écoles normales d’instituteurs (ENI) devenues les Écoles normales de formation des professeurs d’école (ENFPE) dont le lancement nous réunit ce jour ; la durée de formation initiale des enseignants qui tentait de 9 mois passé à 2 ans. Le mode d’accès aux écoles normales qui met désormais l’accent sur la vocation et l’aptitude à̀ la profession enseignante ; ainsi, le candidat à la profession enseignante va se faire former avant de postuler à un concours de recrutement. Des enseignants formes seront aussi disponibles pour les autres ordres d’enseignement ; la dotation des écoles normales d’Environnements numériques de travail (ENT) dont les équipements y sont déjà déployés depuis 2018. Il reste à les renforcer et à les connecter au réseau internet.
Eu égard à tous ces efforts, on ne peut donc pas imputer les échecs enregistres au manque de volonté politique. Ainsi, si malgré cette préoccupation manifeste des pouvoirs publics à la formation des enseignants des tares subsistent au point que les Nations Unies recommandent qu’on puisse y travailler pour la transformation de l’éducation, c’est que, non seulement il y a eu des rates, mais aussi et surtout, le contexte éducatif post Covid impose des réalités à prendre en compte pour atteindre l’objectif poursuivi.
Revenons un peu sur les rates dans la formation des enseignants pour avouer que, tous les acteurs de la chaine n’ont pas toujours su bien jouer leurs rôles. Les décideurs ont souvent manqué de moyens financiers conséquents pour assurer la formation efficace des enseignants, à cause des crises économiques (des années 1980 ayant conduit à l’abandon de la reforme), sociopolitiques (inhérentes à la mauvaise intellection du processus démocratique du début des années 1990 et aux deux ruptures de la coopération entre le Togo et ses partenaires techniques et financiers : 1993 et 1999).
Le corps d’encadrement a fait le suivi des enseignants avec beaucoup de laxisme et de complaisance. Les enseignants, quant à eux, ont, pendant longtemps totalement démissionné (démotivation, enseignement devenu une roue de secours, absentéisme, refus de performer et de s’autoformer, etc.). Ces causes mises ensemble ont conduit à l’endoscopie ci-dessus présentée, obligeant les nations unies à demander aux acteurs de s’imaginer les futurs possibles pour transformer en profondeur l’éducation à l’échelle de la planète.
Orientations possibles à donner à la formation des enseignants pour atteindre les objectifs de la transformation de l’éducation
Selon l’Unesco :
« La transformation de l’éducation signifie que l’on procure aux apprenants les connaissances, les compétences, les valeurs et les attitudes pour leur permettre d’être résilients, adaptables et prépares à un avenir incertain, tout en contribuant au bien-être humain et planétaire et au développement durable ».
Les décideurs ont souvent manqué de moyens financiers conséquents pour assurer la formation efficace des enseignants
Pour y arriver, cela nécessite une préparation en amont des enseignants en ce qui concerne leur formation indispensable à la transmission des compétences et valeurs ciblées aux apprenants. Ainsi, lorsque les Nations Unies évoquent la question de la formation des enseignants pour la transformation de l’éducation, elles en parlent, on l’a vu, dans la logique d’un triptyque, enseignants, enseignement et profession enseignante. Comment comprendre ce triptyque pour en faire un bon usage afin d’atteindre les objectifs de la transformation de l’éducation ?
En effet, les notes de synthèse sur les futurs de l’éducation publiées en avril 2022 dans le cadre des préparatifs du Sommet 2022 sur la Transformation de l’Éducation dissèquent cet item en deux grandes catégories : i) augmenter l’attrait de la profession enseignante et ii) améliorer l’intégration professionnelle, le développement et le soutien continu.
Améliorer l’intégration professionnelle, le développement et le soutien continu
Dans ce volet, il est évoqué la nécessité de : Créer des parcours d’intégration pour les enseignants novices ; Améliorer la formation initiale des enseignants ; Adapter le développement professionnel aux enjeux pertinents ; S’inspirer de collègues expérimentes ; Favoriser la cohérence dans la carrière continue des enseignants tout au long de leur vie.
Comme pour la rubrique précédente, il est attendu du département un certain nombre d’initiatives devant aider à créer l’écosystème de la formation des enseignants. Il s’agit entre autres, de la mise à disposition des programmes d’intégration de qualité (le mentorat et la collégialité), des structures collaboratives, des cadres de réflexions permanentes sur l’enseignement et l’acte pédagogique, des jeux de rôles confies aux enseignants, etc. Mais, au vrai, même si cet écosystème se mettait merveilleusement en place, sans l’implication personnelle de l’enseignant, les résultats escomptes ne pourront pas entre atteints.
On peut valablement convoquer ici la théorie de l’effet des interconnections entre les différentes formes d’implication sur la performance individuelle et la performance collective. Comme l’a fait observer Philippe Meirieu lors de son intervention dans le cadre de la Conférence sur le rôle prépondérant des enseignants : expériences en classe et propositions pour leur formation, tenue à Madrid les 25 et 26 octobre 2005 :
« On ne forme pas un professeur, il se forme. Il se forme en menant à bien des “projets de formation” qui lui permettent d’intégrer les apports de tous ordres et de construire les compétences nécessaires à l’exercice de son métier ».
On se retrouve face à une exigence de plus en plus marquée dans l’acte pédagogique : nécessité d’avoir des « enseignants-chercheurs » ou des « enseignants-inventeurs », pour reprendre l’expression de Philippe Meirieu, même dans le primaire et au secondaire.
Il ne s’agit pas forcement d’y recruter des docteurs (même s’il y a beaucoup qui enseignent au secondaire 2 avec le doctorat) ; au contraire, il s’agit d’instaurer une situation dans laquelle l’enseignant ne se contentera plus exclusivement d’appliquer des recettes ou de mettre en place des dispositifs déjà existants, mais il devra pouvoir, si les circonstances l’imposent, être inventif, c’est-à-dire, imaginer des méthodes pédagogiques nouvelles, sous la dictée des réalités du terrain.
C’est une gageure ! Pour y parvenir, il faut, comme le suggère Philippe Meirieu, faire en sorte que dans le recrutement et la formation des enseignants, soient privilégiées « les capacités d’invention pédagogique individuelles et collectives, tant dans les épreuves des concours de recrutement que dans les pratiques de formation ». Ici encore, s’invite la culture de la recherche et de l’innovation.
En effet, pour faire de l’invention/innovation pédagogique qui souvent ne vient pas ex nihilo, il faut avoir suffisamment lu (faire de la recherche). Voilà pourquoi les notes de synthèse recommandent que :
« Les enseignants devraient être autorises à prendre l’initiative de collaborer et d’apprendre en collégialité dans une culture de la recherche, de l’innovation et de l’exploration, par exemple dans le cadre de la recherche-action, de l’élaboration de projets, et de l’expérimentation de nouvelles techniques ».
L’enseignant ne se contentera plus exclusivement d’appliquer des recettes ou de mettre en place des dispositifs déjà existants, mais il devra pouvoir, si les circonstances l’imposent, être inventif
En clair, appuyer sur le levier « enseignants, enseignement et profession enseignante » dans la logique de la transformation de l’éducation, c’est faire une coconstruction impliquant plusieurs acteurs : les pouvoirs publics qui doivent travailler, entre autres, sur la mise en place de l’écosystème de la formation : (la stabilité, les conditions de vie, le niveau d’intégration dans la communauté, la satisfaction et la motivation professionnelle), certes, mais avant tout, l’enseignant lui-même.
Il doit être disponible et de qualité en termes de niveau d’éducation et de formation (continue notamment), d’expérience, de compétence, de stabilité, ce qui nécessite, pour une grande part, un don de soi et son implication sans faille « dans l’amélioration de la pédagogie, de la recherche et des politiques pour les futurs de l’éducation », pour reprendre les propres termes des notes de synthèse.
Si ces conditions sont réunies, alors l’enseignant, dans la logique de la théorie des systèmes, peut valablement contribuer à l’amélioration significative de la qualité de l’éducation dans l’esprit de l’ODD4. Car, comme l’ont si bien dit Carron et Châu (1998), « La qualité de l’éducation dépend de la qualité des enseignants ».