Dans le cadre de l’initiative sur l’élection présidentielle au Togo, WATHI est allé à la rencontre de Frank Koffi Dela Képomey, Directeur exécutif de la Concertation nationale de la société civile du Togo (CNSC). Dans cet entretien, il évoque l’implication de son organisation dans le processus électoral et la synergie des organisations de la société civile pour un scrutin apaisé. Cet entretien a été réalisé à la veille du scrutin présidentiel.
Présentation de l’organisation
Frank Koffi Dela Képomey est le Directeur exécutif de la concertation nationale de la société civile du Togo (CNSC). La CNSC est un réseau thématique : gouvernance, démocratie, élection et éducation citoyenne. Ce réseau, créé depuis 2002 et entré en possession de son récépissé en 2007, compte 63 organisations de la société civile togolaise réparties sur toute l’étendue du territoire. Chaque région du Togo dispose d’une coordination régionale et dans les préfectures des points focaux sont désignés et chargés de développement des réseaux.
La CNSC est impliquée dans les processus électoraux depuis 2003. À cette période l’État n’avait pas encore reconnu aux organisations de la société civile togolaise le droit d’observer les élections. Il a fallu attendre l’avènement de l’Accord politique global en 2006 pour que les acteurs politiques reconnaissent que la société civile peut contribuer à un processus apaisé par des actions citoyennes. La CNSC s’est donc véritablement inscrite dans une dynamique de l’observation électorale à partir de 2007 avec le Projet d’enregistrement et d’appui au cycle électoral (PEACE) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Il en a été de même en 2010 dans le cadre du projet d’appui au processus électoral avec l’appui du PNUD.
La CNSC étant dans une dynamique de professionnalisme et de perfection dans ses actions, elle s’est soumise à une évaluation avec l’appui du NDI et du PNUD. Cette évaluation a révélé plusieurs insuffisances. Pour faire face à ces difficultés, nous avons opté pour le renforcement de nos capacités en nous inspirant de ce que font les autres organisations de la société civile de la sous-région en matière d’élections. Avec l’appui du NDI, nous avons bénéficié des bonnes pratiques des collègues du Ghana et du Sénégal. Ce partage d’expérience conduira à une mission de prospection de l’Institut Gorée au Togo qui aboutira à la soumission d’un projet d’assistance électorale à l’Union européenne.
La contribution de la CNSC à la mise en œuvre de ce projet a permis de mettre sur pied un groupe d’acteurs qui s’implique activement dans le processus électoral. Il s’agit de la Synergie citoyenne pour les élections démocratiques au Togo (SYCED). Cette synergie a bénéficié, à travers la CNSC, de l’appui de l’Institut Gorée pour s’impliquer dans le processus électoral de 2013 en déployant plus de 1200 observateurs. En 2015, avec ce transfert de compétences et de technologie de l’Institut Gorée, nous avons observé le scrutin présidentiel avec le Parallel Vote Tabulation (PVT).
En 2020, avec l’appui financier du Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), nous comptons déployer un total de 400 observateurs dans le cadre de la mission citoyenne d’accompagnement du processus électoral. Il y aura des observateurs immobiles, des moniteurs dans les CELI, des observateurs mobiles, et des superviseurs. Les observateurs mobiles, auront un bureau de vote à leur charge, mais ils devront également sillonner d’autres bureaux avant de revenir au bureau de vote témoin pour assister à la clôture et au dépouillement. En ce qui concerne les observateurs immobiles, chacun d’eux n’aura qu’un seul bureau de vote à sa charge. Il y suivra le déroulement des activités de bout en bout et remontera les différents incidents qui pourraient y survenir.
Appréciation du cadre légal
Le cadre légal de la présidentielle du 22 février 2019 est celui qui a servi aux élections locales de juin 2019. Ce cadre s’inspire des standards internationaux. Si ce cadre légal souffre d’insuffisances, c’est bien aux acteurs politiques qu’il appartient de prendre en compte les recommandations que les organisations de la société civile ne cessent de faire en vue de l’effectivité des réformes constitutionnelles et institutionnelles.
À ce jour, des avancées ont été obtenues sur la limitation du mandat et le mode de scrutin. S’il y a des interprétations purement politiques, la CNSC ne peut pas s’y prêter, sa mission étant celle de veille et d’éveil. Nous pouvons attirer l’attention des acteurs politiques sur une situation donnée, il leur appartient de prendre au sérieux les propositions que nous faisons.
Pour revenir strictement au cadre légal, il est évident qu’il n’est pas parfait et qu’il reste à être amélioré. Mais à cette étape du processus, on peut tout simplement constater que si toutes les parties prenantes ont accepté de participer à l’élection, c’est qu’elles se sont accordées sur ce cadre tel qu’il se présente.
Appréciation de l’intégrité du processus électoral
L’intégrité du processus électoral met en jeu les préparatifs et aussi l’inclusion dans ce processus. Si les textes sont acceptés tel qu’ils sont formulés par tous les acteurs sont appliqués, je ne comprends pas qu’il puisse y avoir des revendications autour de ces mêmes textes. La loi, aussi mauvaise qu’elle soit, est celle qui s’applique jusqu’au jour où les différents acteurs s’accordent pour la changer. Par exemple, la composition de la CENI a été décidée par les acteurs politiques de tout bord lors de l’Accord politique global (APG). C’est avec cette composition que la CENI a organisé les élections de 2007, 2010, 2013, 2015, 2018 et 2019, il ne peut donc pas y avoir de revendication autour de la composition de cet organe à la veille de l’élection, si les textes sont respectés.
Aujourd’hui, quand on analyse le découpage électoral, il présente de graves insuffisances, mais les acteurs s’y retrouvent et l’essentiel c’est ce consensus, même si nous continuerons d’attirer l’attention des décideurs sur ce découpage. En 2015 par exemple, notre monitoring de la révision des listes électorales nous a permis de constater qu’il y avait trop d’enrôlement par témoignage et que cela favorisait l’enregistrement des mineurs. Ce qui nous a conduits à recommander l’audit du fichier surtout avec des noms qui s’y retrouvent deux ou trois fois, parfois plus. L’Organisation internationale de la francophonie est venue pour faire l’audit du fichier électoral.
À notre grande surprise, les acteurs politiques ont préféré poursuivre avec ce « fichier consensuel », qu’ils reconnaissaient quand même présenter des insuffisances. Après les élections, nous avons organisé une rencontre de haut niveau pour apprécier ce processus et faire un plaidoyer pour que le fichier et l’état civil soient informatisés. De tous les acteurs invités, seuls les ministères de la Justice et de l’Administration territoriale ont répondu.
La plupart des acteurs politiques disparaissent au lendemain du scrutin et réapparaissent à la veille de la prochaine élection avec les mêmes revendications et finissent par y prendre part dans les mêmes conditions.
Existence d’une synergie entre les organisations de la société civile
Comparativement à d’autres pays où lors d’une élection les organisations de la société civile se retrouvent dans un creuset pour une forte synergie d’actions, on constate au Togo, de multiples initiatives, même si celles-ci ne s’excluent pas. Chaque structure veut avoir le leadership et cela ne facilite pas la communion des forces. Or, il est évident qu’en synergie, les acteurs politiques prendraient plus au sérieux les recommandations des organisations de la société civile.
Cependant, il faut reconnaître que les différentes plateformes ne font pas la même chose et n’utilisent pas la même méthodologie, ce qui permet de diversifier les sources d’informations. Certaines organisations s’occupent par exemple des aspects droits de l’Homme, alors que d’autres se chargent de l’inclusion des minorités. Les structures qui tiennent ces projets citoyens collaborent bien dans le cadre d’échanges d’informations sur l’évolution du processus.
Climat électoral
De tous les retours que nous avons jusqu’à ce jour, il y a cette relative liberté de campagne pour tous les candidats. Aucun candidat n’a été véritablement objet de violence, même si certaines actions isolées sont à déplorer. On remarque une forte présence du candidat sortant avec des moyens financiers colossaux. On constate aussi une forte présence militaire dans tout le pays, mais particulièrement dans certaines villes comme Sokodé. Pour ce dernier cas, la présence militaire n’est pas en lien avec le processus électoral, elle est plutôt liée au soulèvement de la population dans cette localité en 2017. Depuis cette période, l’État a quadrillé cette zone avec plusieurs violations de droits humains remontées par des organisations œuvrant dans le domaine.
Appréciation des contenus programmatiques des candidats
Nous sommes en pleine campagne et malheureusement les programmes des candidats ne sont pas disponibles et facilement consultables. On se contente de petits résumés que certains présentant sur les réseaux et lors des meetings. Nous attendons que les candidats se prononcent sur leur vision pour le Togo de demain. Qu’ils se prononcent sur leurs stratégies pour assainir la gouvernance et promouvoir le développement du Togo.
Il est difficile de trouver des documents qui y font référence et on n’y comprend rien. En suivant les émissions radiophoniques, on se rend compte que le programme politique du parti au pouvoir s’articule autour du Plan national du développement (PND) et celui de l’ANC s’inscrit pratiquement dans la même dynamique. Finalement je me demande ce que les candidats vont vendre au cours de cette campagne.
Déjà en 2005 au Bénin, bien avant l’élection, un document récapitulant la biographie, le programme, la vision de chaque candidat a été mis à la disposition des acteurs. En 2020, au Togo, en pleine campagne, on peine à avoir les documents de programme des candidats. Ce qui montre véritablement que les partis ne sont pas assez préparés.
Ainsi, n’ayant pas connaissance du contenu des programmes des candidats, nous ne pouvons véritablement pas nous prononcer sur cet aspect. Notre souhait c’est que toutes les parties prenantes puissent œuvrer pour un processus apaisé pour le Togo. Le Togo nous appartient tous.
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