Au Togo, l’entreprenariat doit devenir une véritable option dans les choix professionnels

Au Togo, l’entreprenariat doit devenir une véritable option dans les choix professionnels

Les entretiens de WATHI – Les régions du Togo

Bakliwe Baffasam

Bakliwe Baffasam est originaire de la région de la Kara. Il est sociologue de formation et expert en Ingénierie de développement local.

L’entrepreneuriat fait aujourd’hui partie des pistes privilégiées par les pouvoirs publics pour permettre aux jeunes sortant du système éducatif de s’intégrer professionnellement. Quel rôle peuvent jouer les universités togolaises dans cette dynamique ?

Les universités ont un rôle crucial à jouer pour l’émergence d’une culture entrepreneuriale. Le Togo est actuellement confronté à l’arrivée d’environ 40 000 nouveaux demandeurs d’emploi chaque année.  Dans un contexte marqué par la persistance du chômage (6,5% en 2011) qui touche particulièrement les jeunes et un secteur privé globalement composé de petites entreprises traditionnelles, la question d’emploi et d’insertion socioéconomique est plus que préoccupante.

Elle interpelle aussi bien nos dirigeants que le simple citoyen. Dans les années à venir, la situation risque de s’aggraver avec l’augmentation vertigineuse des flux annuels des diplômés qui sont versés chaque année sur le marché de l’emploi, en contradiction avec la saturation de l’offre du secteur public et l’étroitesse de celle du privé.

A cela s’ajoute l’inadéquation grandissante entre l’offre de formation de nos universités et les besoins réels du marché de travail. Je peux témoigner du développement d’une multitude de formation en Licences et Masters professionnels orientés vers le secteur privé à l’Université de Kara et la création récente de la Société pour l’innovation et l’entrepreneuriat à l’Université de Lomé qui ambitionne de se positionner comme un opérateur économique à part entière.

Margé ces efforts, il demeure un fossé important entre les besoins réels des Togolais et les formations disponibles. En effet, les formations traditionnelles (lettres modernes, anglais, droit, sociologie) enregistrent la majorité des inscriptions, alors que les curricula n’ont pas changé et les programmes non diversifiés ni adaptés aux nouvelles réalités. Dans ce contexte, l’entrepreneuriat, moteur du développement, apparait comme une alternative sérieuse pour relever ce défi de la création d’emploi pour la jeunesse.

Cela ne pourra se faire sans l’implication effective des temples de savoir que sont les établissements d’enseignement supérieur, dont le rôle pourrait être décisif.

Pour ce faire, les universités devront accepter de dépasser leur rôle traditionnel de prestataires de services éducatifs pour intégrer l’entrepreneuriat dans toutes ses dimensions. Cela implique qu’ils doivent intégrer la promotion de l’entrepreneuriat comme un objectif stratégique et développer les activités appropriées pour l’éducation entrepreneuriale.

Cela constitue une opportunité pour ces universités de s’adapter aux changements socio-économiques en cours en assumant de nouvelles responsabilités. Les universités pourraient alors devenir un véritable moteur du développement économique.

C’est déjà encourageant de constater que la plupart de nos universités ont amorcé une intégration de modules d’enseignement sur la culture entrepreneuriale, mais cela ne suffira pas. Mon avis est qu’il faudra aller plus loin pour créer des départements et des chaires en entrepreneuriat ainsi que des services d’appui aux start-up. Ces derniers pourraient prendre la forme d’incubateurs, de centre d’entrepreneuriat, de pépinières d’entreprises et d’unités de transfert technologique.

Bien entendu, cela devra se faire en s’appuyant sur les meilleures initiatives aussi bien au niveau régional que mondial. Il s’agira de s’inspirer de comment les universités et les gouvernements d’autres pays ont géré cette problématique à laquelle le Togo se voit aujourd’hui confronté et en sortir un modèle adapté aux réalités socioéconomiques et culturelles du Togo.

Trois étapes, à mon avis pourraient conduire nos universités à jouer pleinement leur rôle dans cette nouvelle dynamique.

  • Pour un pays comme le Togo où la culture entrepreneuriale est presqu’inexistante, la sensibilisation à l’entrepreneuriat revêt un caractère fondamental afin de contribuer à une modification en profondeur des mentalités et des comportements.
  • L’implication de l’Université doit également être envisagée du point de vue de la formation à travers la mise en place d’enseignements spécifiques dans le domaine de l’entrepreneuriat ou de la création d’entreprise.
  • Il en de même pour la recherche qui est une condition incontournable pour que l’entrepreneuriat se décline dans les enseignements et les pratiques. Elle permettra de faire progresser les connaissances dans le domaine, mais aussi de favoriser la reconnaissance de l’entrepreneuriat en tant que discipline.

Tout ceci nécessite bien entendu un budget, un ancrage institutionnel et une structure dédiée à l’entrepreneuriat (département).

Quelle appréciation faites-vous des efforts déployés par les autorités togolaises pour lutter contre le chômage ?

Face à forte pression de la demande d’emploi et l’insuffisance de la capacité d’embauche de l’économie togolaise, les autorités togolaises se sont engagées dans de multiples initiatives visant à réduire le chômage et la pauvreté des jeunes. Je peux citer entre autres la création d’un ministère du Développement à la base, de l’artisanat, de la jeunesse et de l’emploi des jeunes qui coordonne un ensemble de programmes et dispositifs destinés aux jeunes.

Il s’agit notamment de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), l’Agence nationale de promotion et de garantie de financement des PME/PMI (ANPGF), le Programme de promotion du volontariat national (PROVONAT) devenu Agence nationale de volontariat au Togo,  le Fonds d’appui aux initiatives économiques des jeunes (FAIEJ), le Programme d’appui à l’insertion et au développement de l’embauche (PAIDE) le Fonds national de la finance inclusive (FNFI), l’incubateur féminin INNOV’UP, dédié à la promotion de l’entrepreneuriat féminin, l’incubateur Nuyan Lab, le Projet d’appui à l’insertion professionnelle des jeunes artisans (PAIPJA), la mise en place des Maisons des jeunes, le Programme d’appui au développement à la base (PRADEB), l’Agence nationale d’appui au développement à la Base (ANADEB)  etc…

Bien que ces efforts louables traduisent la volonté politique du pays à faire d’une priorité, la question de l’emploi et de celle des jeunes, ils peinent à montrer des résultats tangibles. Si l’on peut lire des chiffres impressionnant sur les sites internet des organismes cités plus haut, le chômage des jeunes poursuit bonnement sa route. Il ne s’agit pas tout simplement de mettre en place des programmes à coût de milliards, et d’en faire une campagne de communication, mais d’atteindre les objectifs visés à travers des résultats tangibles.

Dans le cas de l’espèce, l’objectif semble loin d’être atteint. On observe des difficultés de coordination entre les différentes structures citées plus haut. Il n’existe pas de passerelles entre les ministères mais également entre les structures publiques et le secteur privé (associations des jeunes, ONG, société civile, structures de formations privées, etc.).

Le Centre de formalité des entreprises (CFE) renseigne que plus de 6 063 entreprises ont été créées au premier semestre de 2020 au Togo. Le classement Doing Business 2020 met le Togo en 15ème position, sur 190 pays au monde, en matière de création d’entreprises. Il ne s’agit pas d’encourager les jeunes à créer des entreprises pour qu’elles meurent juste après.

En effet, une grande partie de ces entreprises crées ne sont plus opérationnelles après quelques mois d’exercice.  Les efforts semblent trop concentrés sur les premières étapes de la création d’entreprises, laissant de côté la suite du processus. Il est donc nécessaire de mettre en place un système de soutien qui permet aux entreprises naissantes de dépasser les seuils critiques dans le développement et la croissance qui assure leur survie à long terme.

Quels conseils donnez-vous aux jeunes pour relever le défi de leur employabilité ?

J’exhorte vivement les jeunes togolais à considérer l’entreprenariat comme une véritable option de vie professionnelle. Je recommande à ces jeunes de faire de l’entrepreneuriat leur culture. J’encourage tous les jeunes à prendre leur destin en main en s’engageant pleinement et efficacement dans le domaine de l’entrepreneuriat.


Crédit photo : togofirst.com

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