Entretien avec Pierre Marie Channel Afognon, directeur national de l’enseignement catholique

Entretien avec Pierre Marie Channel Afognon, directeur national de l’enseignement catholique

Dans le cadre de l’initiative sur l’élection présidentielle au Togo, WATHI est allé à la rencontre de Pierre Marie Channel Afognon, directeur national de l’enseignement catholique. Dans cet entretien, il évoque l’implication de l’Eglise catholique dans le processus électoral et le climat général du scrutin à venir. Cet entretien a été réalisé à la veille du scrutin présidentiel.

Présentation

Père Pierre Marie Channel Afognon est le Directeur national de l’enseignement catholique, et l’aumônier national des cadres catholiques du Togo. Ce sont là ses missions dans l’Église catholique. Il est aussi engagé avec la société civile pour des questions de veille citoyenne.

État des lieux de la campagne électorale

Le Togo est en train de vivre pleinement la campagne électorale et les candidats ont eu à faire différents points. Certains disent qu’ils ont eu des difficultés à accéder à certains milieux où ils n’étaient pas les bienvenus. D’autres estiment que les fonds prévus pour le financement de la campagne n’ont pas été mis à leur disposition. D’autres accusent certains partis de profiter de la machine de l’État. On parle aussi d’achat de conscience par la distribution de l’argent et des gadgets.

Mais au-delà de toutes ces considérations, je crois qu’il n’y a pas eu à ce jour d’incident majeur source de violence. Nous bénissons le Seigneur pour cela et nous espérons qu’avec l’organe qui est chargé des élections, les forces spéciales de sécurité des élections, les autorités gouvernementales, les représentations diplomatiques et l’apport de chaque citoyen, nous pourrions poursuivre le processus électoral de façon apaisée, dans la vérité, dans la justice et aussi dans la transparence.

Comme les évêques du Togo ont eu à le dire, il urge que ces élections soient vraiment libres, crédibles, démocratiques et pacifiques. Nous le savons, quand les élections sont libres, crédibles transparentes et démocratiques, cela ouvre tout de suite la porte à la paix sociale. Quand ce n’est pas le cas, il y a des risques de contestations, surtout dans le contexte togolais où le souci de l’alternance habite le cœur d’une grande partie de la population. Alors, si à la fois les autorités et l’organe chargé des élections et chaque citoyen, l’armée et les forces de défenses et de sécurité, chacun, par amour pour la patrie s’engageait pour aller dans le sens des élections vraiment libres, crédibles et transparentes, alors on peut dire qu’on aura vraiment fait un grand pas en avant.

On aura reposé la fondation d’une Nation prospère, on aura repris la route vers ce que notre hymne appelle Togo « l’or de l’humanité ». C’est notre espérance et nous prions pour cela, nous travaillons pour cela et nous comptons sur la bonne volonté de tous les acteurs particulièrement les autorités gouvernementales parce qu’ils ont une grande responsabilité pour la crédibilité et la transparence des élections. Ils ont une responsabilité pour que la volonté des jeunes puisse être respectée. Voilà ce que je peux dire par rapport à la situation actuelle en lien avec les élections à venir.

Implication de l’Église catholique dans le processus électoral

Quand nous parlons de l’Église catholique, nous parlons de tous ces citoyens qu’on retrouve dans tous les partis politiques. Les 7 candidats en compétition comptent tous des catholiques parmi leurs militants. L’attitude première de l’Église catholique du Togo, c’est l’appel lancé par les évêques lors de leur dernier message qui appelle chaque citoyen, à aller voter librement, en restant fidèle à sa conscience et en choisissant celui qui peut véritablement présider la destinée de notre pays. La conférence épiscopale a insisté sur le respect de la liberté des catholiques et des citoyens.

L’Église catholique, de par sa nature et la mission reçue de son Seigneur Jésus-Christ, ne peut pas se taire devant des questions d’injustice sociale, des situations de violence, des situations qui sont contraires à la promotion des droits de l’Homme, des situations de misère, des situations d’une certaine gouvernance qui n’est pas axée sur le bien commun et l’intérêt national. Ce qui fait que l’Église est amenée à tirer la sonnette d’alarme pour rappeler à la fois aux acteurs politiques qui sont au pouvoir comme ceux de l’opposition, sans ignorer la communauté internationale, et les citoyens, leurs devoirs de pouvoir bâtir une Nation prospère où il fait bon vivre pour tous ses fils et filles.

Il se trouve que pour les élections à venir, le Conseil épiscopal qui est la structure de l’Église catholique mandatée pour les questions de justice et de paix et pour aussi de ce qui est en lien avec les élections a demandé à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et au ministère chargé de l’Administration territoriale, de pouvoir observer l’élection présidentielle. Il faut dire que déjà la même demande a été formulée pour les élections locales et avait été rejetée par le ministre chargé de l’Administration territoriale. Cette fois-ci, son refus repose sur deux ou trois arguments. D’abord il dit que l’Église catholique ne fait pas preuve de neutralité, ensuite qu’un compte rendu financier demandé au Conseil épiscopal sur ses sources de financements n’a pas été envoyé.

Dans son dernier message, la conférence des évêques a répondu en disant que pour ce qui concerne la neutralité, la conférence n’a pas besoin d’aller consulter les opposants avant de dire ce qui est bien pour le Peuple. Et si la conférence dit quelque chose qui est bien pour le Peuple, et que l’opposition reprend la même chose, cela voudrait dire simplement que c’est la vérité, et que c’est le sens qu’il faut prendre. Les évêques ont défendu qu’ils n’ont jamais pris parti pour tel contre tel et que les propos du ministre sur le financement étaient une forme d’insulte à l’Église.

Il faut dire qu’en outre, il y a une grande confusion entre ce que Monseigneur Kpodzro fait et ce que l’Église catholique est en train de faire. Une analyse intelligente et sage de la situation, nous permet de comprendre clairement que Monseigneur Kpodzro agit de son propre chef. Et on sait qu’il y a plusieurs acteurs politiques qui sont dans cette initiative. Dans cette initiative, on ne trouve pas un autre évêque, on ne trouve pas un autre prêtre, on ne retrouve pas la hiérarchie catholique. Mais personne ne peut empêcher un évêque qui est un citoyen de contribuer à l’avènement d’une démocratie ancrée dans le pays, puisque l’alternance est un principe démocratique. On ne peut pas nier ce principe.

L’alternance est un principe démocratique comme le disaient les évêques dans leur lettre : « soyons responsables dans la justice et la vérité avant même que l’alternance ne soit un principe démocratique, c’est un principe du droit naturel, parce que rien n’est éternel, personne n’est éternel, aucune création humaine n’est éternelle, même de grandes civilisations avec le temps disparaissent, donc c’est une sagesse de la nature que de savoir qu’on ne peut pas rester éternellement au pouvoir ». Donc Monseigneur Kpodzro s’est engagé d’une certaine façon très ouverte et a désigné même pour cette initiative, un candidat pour qui il va même battre et tout cela prête à confusion.

En tout cas l’Église catholique ne peut jamais reculer devant sa mission prophétique de messager et de la justice, de défenseur des petits et des pauvres, des promoteurs de droits de l’Homme, et de l’institution qui est engagée pour le bien commun. Et du coup pour la démocratie. Donc l’Église va continuer son travail de sensibilisation sur le terrain. Nous continuons à expliquer le message des évêques aux fidèles pour qu’ils évitent toute violence, pour qu’ils puissent aller voter en fidélité à leur conscience et qu’ils ne se laissent pas acheter. Nous espérons que les catholiques, les hommes et les femmes de bonne volonté, de notre pays vont tous aller dans le sens des élections libres, crédibles et transparentes. C’est le chemin le plus indiqué pour continuer à maintenir la paix et vraiment promouvoir le développement de notre pays.

Appréciation du cadre légal

Il n’y a pas de texte parfait. Mais, il faut que ce qui est prévu dans le texte soit respecté. Par exemple, il y a un organe qui est chargé de la sécurité durant l’élection composée de gendarmes, de policiers et qui a son commandement. Il serait très intéressant que de bout en bout, ce soit exclusivement ce corps mandaté qui puisse gérer les élections. Parce que des fois, on a l’impression qu’il y a d’autres autorités de la hiérarchie des forces de sécurité et de défense qui interfèrent dans la façon dont ces hommes qui sont formés gèrent le processus électoral.

Le cadre que nous avons, même si on peut l’améliorer, ce n’est pas maintenant qu’on doit le faire, donc en se contentant de ce cadre il faut au moins qu’il soit respecté. Le Code électoral dit par exemple de ne pas acheter les consciences. Mais quand on écoute et on voit certaines réalités sur le terrain, on se demande si on n’a même pas érigé la séduction et la manipulation qui fait justement l’achat des consciences en mode de communication. Je pense qu’avec le temps on doit corriger ce Code.

Climat électoral

Disons que dans le vécu on ne peut pas aujourd’hui dire qu’on a noté quelque chose de gravement violent. Mais il y a de véritables signes de violence d’abord extérieure et ensuite psychologique. De l’extérieur, le dispositif militaire déployé avec le nombre de militaires qui sont soit en circulation avec mitraillette, soit dans des voitures spécialisées d’attaque qu’on voit habituellement en période de guerre, ne peut que créer la peur chez le citoyen. Beaucoup de personnes se confient en se demandant : mon père qu’allons-nous devenir ? Qu’est-ce que ces politiciens nous réservent encore? Est qu’on peut rester dans le pays? Faut-il rester en ville? Autant de questions qui hantent les Togolais.

En apparence, nous sommes dans un climat apaisé pour le moment. Mais quand on voit aussi un peu les grandes frustrations que les gens ont gardées sur des années, tout peut arriver. L’image qui me vient en tête c’est celle d’un volcan qui n’est pas encore en éruption, il faut surveiller pour que des laves ne nous surprennent pas. Le premier acte qui va vraiment étouffer toute velléité de violence c’est la crédibilisation des élections parce qu’il y a eu déjà des préalables. L’idéal serait que le jeu soit suffisamment transparent pour que le gagnant soit vraiment reconnu et plébiscité, et que les autres reconnaissent aussi leur défaite.

Collaboration des religions pour un processus apaisé

Il y a un travail de fond qui s’est toujours fait, qui continue d’ailleurs avec nos frères des Églises protestantes. J’ai noté que parfois quand la conférence des évêques sort une lettre, l’Église protestante sort aussi une lettre pastorale pour accompagner les fidèles. Pour le moment je n’ai pas encore appris de potentielles initiatives des protestants dans le cadre de cette élection. Avec nos frères musulmans, il n’y a pas une synergie directe dans le cadre du processus actuel. Mais quand il y a eu, il y a quelques années, la profanation de certaines mosquées, la conférence des évêques s’est rendue auprès des imams et a condamné ces genres d’actes qui sont intolérables. Il n’y a pas, à ma connaissance, de synergie ou une concertation pour des actions de la religion traditionnelle, de l’Église protestante, de l’Église catholique, de l’Islam. A ma connaissance, il n’y a pas eu quelque chose de systématique dans ce sens.

C’est souhaitable, mais il faut reconnaître que le climat socio- politique est tel que c’est difficile même pour des acteurs religieux de pouvoir travailler. Certains ont peur qu’on les taxe d’être des politiciens parce que dans notre pays il suffit de dénoncer une situation d’injustice sociale, de réclamer des droits qui sont bafoués, de rappeler que la gouvernance doit viser le bien commun, de rappeler que la santé est un droit, pour qu’on conclut que le religieux fait de la politique.

Les évêques ont défini dans leur lettre du 26 avril 2016, la politique comme faire son devoir citoyen et par conséquent, on ne peut pas être citoyen et ne pas faire la lecture critique de ce qui se passe dans le pays, analyser et proposer et quand c’est nécessaire dénoncer et résister à ce qui n’est pas bien.

Pour finir c’est d’abord une prière que j’adresse au Dieu trois fois saint, vous savez pour nous catholique chrétien, Jésus Christ notre seigneur porte plusieurs noms : le prophète Isaïe l’appelle Soleil de justice, il l’appelle aussi Prince de la paix. Je souhaite vraiment que par nous catholiques, par nous chrétiens, par nous croyants, par nous fils et filles de ce pays, nous soyons vraiment des soleils de justice c’est-à-dire que nous puissions nous engager à ce que les élections qui viennent soient des élections crédibles transparentes libres et démocratiques, ce serait faire œuvre de justice que nous évitons tout ce qui est compromission à cause de l’argent.

Donc mon plus grand souhait serait que nous soyons tous des êtres lumineux et que notre lumière soit la justice pour que nous puissions être aussi les princes de la paix. L’un va avec l’autre donc je souhaite vraiment que pour ces élections, il n’y ait ni blessé, ni mort, ni blocage de l’économie et que le meilleur puisse vraiment gagner en toute vérité, et que le perdant puisse reconnaître humblement sa défaite et embrasser son frère. D’où encore cette prière à Dieu et cette invitation à nous les humains. Que Dieu bénisse le Togo et touche nos cœurs pour que l’élection soit libre crédible et transparente et que chacun d’entre nous fasse sérieusement profondément et sincèrement sa part. Que l’Eternel bénisse le Togo et les candidats et nous donne vraiment de vivre une élection pacifique dans la transparence et dans la vérité.

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