Entretien avec Carmel Max Savi, conseiller spécial, chargé de la communication et du lobbing médias du candidat Agbéyomé Kodjo

Entretien avec Carmel Max Savi, conseiller spécial, chargé de la communication et du lobbing médias du candidat Agbéyomé Kodjo

Dans le cadre de l’initiative sur l’élection présidentielle au Togo, WATHI est allé à la rencontre de Carmel Max Savi, conseiller spécial, chargé de la communication et du lobbing médias du candidat Agbéyomé Messan Kodjo. Dans cet entretien, il évoque le parcours et l’engagement politique du candidat du Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (MPDD) et revient sur les mesures phares de son programme.

 

Le parcours du candidat

Âgé de 66 ans, M. Agbéyomé Kodjo a eu son baccalauréat au Togo dans les années 1970. Grâce à une bourse d’études, il a poursuivi ses études à Poitiers  en France où il a fait une thèse en économie. A son retour au pays, il a travaillé dans la société d’État la Société nationale de commercialisation du Togo (SONACOM) avant d’être ministre de la Jeunesse à 32 ans sous Eyadema Gnassingbe. Il a été plusieurs fois ministre, ministre de l’Intérieur, Premier ministre après avoir été Président de l’Assemblée nationale et Directeur général du port autonome de Lomé. C’est un homme qui a un parcours politique et professionnel bien nourri. Il est marié et père de 9 enfants.

L’ambition de Agbéyomé Kodjo pour le Togo

Pour un parcours pareil, on ne peut que finir président de la République. Le candidat a été motivé depuis la base, par une envie profonde de servir les autres. Il est issu d’une famille modeste et a réussi parce que la République lui a offert une chance. Autrement, il n’aurait jamais eu la chance d’obtenir une bourse, donc il a envie de rendre ce qu’il a obtenu de la République aux Togolais. C’est également quelqu’un d’ambitieux dans tous les sens du terme. Cette ambition est nourrie par le souci de faire la politique et de diriger ce pays autrement.

On l’a vu démissionner avec fracas de son poste de Premier ministre en laissant un document intitulé « il est temps d’espérer », un testament de 14 pages dans lequel il décrit la situation autour de Eyadema Gnassingbe : le renforcement de la dictature, l’État de répression, l’insécurité dans le pays, la dénaturation de l’image du pays à l’international, la mise en difficulté de l’économie du pays…  Tout ceci devenait pour lui insupportable et c’est ce qui a justifié sa rupture avec le système et son exil de trois ans à Paris.

Donc, c’est une ambition de parachever ce qu’il n’avait pas pu faire et transformer le Togo en un pays nouveau, sans doute émergent. Le candidat est une personne rigoureuse quand on voit ce qu’il a réalisé par le passé, il est évident qu’on peut compter sur lui. Il est de la droite, mais aussi un peu du centre droit et très attaché aux questions de société notamment la santé, l’éducation la lutte contre la pauvreté.

En résumé, la plus grande ambition pour lui d’être chef d’État, c’est de tendre la main aux plus vulnérables, et d’amener notre pays dans la lutte contre la pauvreté à un niveau qui soit vivable et humain et de permettre que les richesses du pays profitent à tous les Togolais.

Le programme politique

La priorité, compte tenu du fait que le pouvoir d’achat a considérablement baissé en 10 ans au Togo, c’est de renforcer le pouvoir d’achat. Pour cela, il dispose de trois stratégies :

La relance économique

  • Revaloriser la grille salariale à 14 % des salaires sur 5 ans, ce qui permettra aux Togolais d’avoir plus d’argent, de dépenser et de relancer l’économie du pays.
  • Remonter le SMIG qui est de 32 000 à 50000, donc une augmentation sensible de 40 %du SMIG.
  • Baisser les impôts, au cours des deux dernières années, près de 26 % des sociétés qui ont été créées au Togo dans les 10 dernières années ont fermé les portes parce qu’il y a une sorte de harcèlement fiscale de la part de l’Office togolais des recettes (OTR). Plusieurs petites et moyennes entreprises ont mis la clef sous la porte parce qu’elles ne pouvaient plus payer l’impôt. Agbéyomé Kodjo va sensiblement baisser les impôts et doter l’OTR d’une structure qui sera chargée d’accompagner les jeunes entrepreneurs en leur garantissant des obligations fiscales moins élevées que les adultes. L’idée est d’accompagner ces jeunes jusqu’à l’assise financière effective de leur entreprise.

Le domaine social

Il est impressionnant de voir qu’aucun centre hospitalier public du Togo ne dispose d’un scanner alors que le coût d’un scanner est d’environ 2 milliards de FCFA. Le Togo a la capacité de se doter d’une dizaine de scanners et les mettre à la disposition des Centres hospitaliers régionaux (CHR) et le Centre hospitalier universitaire (CHU) du pays. Les patients, qui souhaitent faire un diagnostic par l’Imagerie à résonnance magnétique (IRM) par exemple, sont souvent victimes de la spéculation dans les établissements privés avec un coût de consultation avoisinant 26 000 FCFA, pratiquement le SMIG.

Le candidat va donc renforcer les capacités des hôpitaux, les moderniser et étendre la couverture universelle, aujourd’hui limitée aux fonctionnaires, à tous les Togolais pour que ces derniers puissent avoir accès à des soins primaires de qualité à moindre coût.

Un tour dans les centres hospitaliers du Togo nous a permis de constater que les femmes accouchent presque à terre, il manque des matelas et des moustiquaires. Il faut moderniser et assainir les hôpitaux qui sont dans un état de délabrement impressionnant. Il faut également construire d’autres hôpitaux de la taille du Centre hospitalier universitaire (CHU) dans les autres villes. Si une personne fait un Accident vasculaire cérébrale (AVC) dans le Nord du pays, il faut l’évacuer dans un pays voisin ou à Lomé pour la soigner. Elle a largement le temps de mourir durant le voyage, alors qu’elle aurait pu être prise en charge sur place si les structures de santé du pays étaient équipées. Nous allons donc mettre un accent particulier sur la modernisation des hôpitaux.

L’éducation

La priorité c’est de favoriser les personnes de famille modeste, afin de leur permettre d’étudier comme cela a été le cas du candidat. A la première année de présidence de AMK, il y aura 10 000 bourses pour les Togolais, la moitié pour étudier à l’étranger, notamment au Maghreb et en Europe où le candidat a plusieurs contacts. L’autre moitié sera constituée de bourses d’excellence pour étudier dans les universités du Togo avec un accompagnement adéquat. Nous ferons comme les Béninois qui ont une bourse de base de 150 000 FCFA par mois pour les doctorants.

Le Togo est le seul pays de l’UEMOA à disposer de seulement deux universités publiques qui ne prennent pas en compte les nouvelles filières. Ce qui oblige les Togolais à rester dans l’ancien système qui, à plusieurs égards, se trouve en déphasage avec les besoins du marché de l’emploi. L’objectif d’Agbéyomé Kodjo est de construire de nouvelles universités. Il prévoit de construire tous les deux ans une université, notamment une dans le Nord et deux dans les régions centrale et méridionale du pays.

Nous avons aussi constaté qu’il y a des grèves répétitives au niveau des écoles confessionnelles. Les classes sont pléthoriques et l’effectif des enseignants est insuffisant. Nous pensons que l’État, qui fait déjà une forme de subvention à ces écoles, peut améliorer cet accompagnement en recrutant et en formant des enseignants pour ces écoles. L’école sera gratuite jusqu’à l’université. Une loi, qui rendra l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans comme en France, sera votée.

L’emploi des jeunes

Il faut reconnaitre que quelque chose a été fait. Faure Gnassingbe a mis en place un système permettant aux jeunes et aux femmes entrepreneurs de bénéficier de 25% des marchés publics. C’est encourageant, mais nous pensons qu’il faut aller au-delà, 10 % pour les femmes et 25% pour les   jeunes. Pour le reste, l’État ne peut pas engager tout le monde. On se retrouve actuellement avec une masse salariale énorme pour les fonctionnaires et c’est 27 à 28% du budget de l’État qui vont dans les paiements des salaires de l’armée et de la fonction publique.

Il faut donc réduire cette masse salariale avec une politique d’accompagnent des jeunes dans les secteurs de l’agriculture par exemple. Il y a par exemple le Mécanisme de financement agricole (MIFA) qui est un projet intéressant de subvention financière, mais avec la garantie de l’État auprès des banques pour permettre aux agriculteurs de pouvoir disposer de financement.

Dans tout le pays, c’est 5% des prêts qui sont destinés au secteur agricole, il faut l’amener à 7%. C’était l’ambition du MIFA qui n’a pas atteint l’objectif. Nous allons donc reprendre ce mécanisme sous une autre forme pour encourager les jeunes qui s’intéressent à l’agriculture à retourner dans les localités rurales pour se consacrer à cette activité. L’autre chose, c’est de revoir le système scolaire qui forme des chercheurs, des intellectuels et des enseignants.

Il faut aller vers le système allemand où l’enfant est très tôt orienté vers une spécialité. Le Togo, compte tenu de ses richesses, peut consommer l’intégralité des jeunes sans emploi. Le taux de chômage n’est pas élevé, par contre c’est le taux de sous-emploi qui est élevé (40%). Il s’agit des gens qui sont formés dans un secteur et qui sont occupés dans un domaine qui ne relève pas de leur compétence. Il faut pallier cet état de chose, en donnant des formations beaucoup plus adaptées et en créant des PME et PMI.

Le Togo dispose de clinker de façon illimitée, du phosphate, et du marbre et plusieurs rapports de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITTIE) ont montré que ces trois ressources sont extrêmement mal gérées. Il faut mettre fin à la corruption et les détournements des fonds. Il faut réduire les dépenses de l’État qui coûte trop cher, par exemple tous les ministres disposent de trois voitures, l’effectif de l’armée de 20 000 soldats est à réduire.

Le Togo organise ses élections sur fond propre sans aucune aide. En arrêtant tous ces gaspillages, nous comptons dégager des marges pour financer notre programme. Il faut rassurer les partenaires et encourager l’investissement.

Le Plan national de développement (PND) est à revoir, l’État doit apporter 35% et le secteur privé 65%, le secteur privé hésite parce que l’État togolais dans sa forme actuelle n’apporte pas une garantie fiable. Il faut lancer un autre plan plus ambitieux, la Côte d’Ivoire a un PND de 30 000 milliards, 9 000 milliards pour le Bénin, 16 000 milliards pour le Burkina Faso et 27 000 milliards pour le Mali. Les 4622 milliards du PND du Togo sont sous-estimés par rapport à la capacité de mobilisation des fonds du pays. Il faut aussi relancer les cultures de rente comme le Café, le cacao et le coton.

L’accord politique global (APG)

L’APG  est parfait. C’est le meilleur accord politique du Togo. Cependant, le régime en place a choisi seulement certains aspects qui l’arrangent pour les mettre en exécution. Mais l’essentiel n’est pas pris en compte notamment tout ce qui devait contribuer au renforcement de la gouvernance. Agbéyomé Kodjo au pouvoir, il ne reprendra pas l’APG, mais il va proposer une refondation du système en associant tous les camps pour installer des institutions fortes pour que le premier mandat soit un mandat de stabilisation et de renforcement de la démocratie et de protection des acquis, afin qu’elles ne régressent pas comme on l’a vu avec des modifications maladroites de la constitution.

La gouvernance

Il faut des états généraux des institutions. À partir des propositions des différents acteurs de tout bord, on définira les réformes à faire. Mais le “squelette” est déjà connu, il faut réformer la cour constitutionnelle pour que les membres soient élus par les forces vives de la nation et non par le président de la République. Nous mettrons en place un Conseil économique et social (CES) qui est déjà prévu dans la constitution, mais qui n’existe pas. Ce conseil prendra en charge les questions environnementales.

On témoigne que notre armée est l’une des meilleures de la sous-région, obéissante, disciplinée, désintéressée. Les militaires sont solides et bien formés. Mais nous pensons qu’il faudra la moderniser, en la “détribalisant” et en attirant de l’expertise et des compétences au sein de la muette.

La décentralisation

Il y a une politisation des mairies et aucune commune ne dispose de budget. Les mairies sont perdues à ne rien faire et ne disposent pas de moyens. Il faut soutenir le développement à la base et renforcer l’appui de l’État à la Mairie. Agbéyomé Kodjo a déjà promis de construire des infrastructures pour toutes les mairies. L’État n’a pas donné le pouvoir aux maires dans la loi actuelle. Notre candidat a prévu d’augmenter sensiblement le pouvoir des maires pour leur permettre de contrôler les pôles économiques comme les mines et de pouvoir gérer les marchés marchands.

Il est prévu que la mairie de Lomé ait un gouverneur. Nous pensons que ce n’est pas une bonne idée, il faut réduire le nombre de communes dans la ville de Lomé et nommer un maire central comme à Cotonou, les autres seront des chefs d’arrondissement.

Le contexte sécuritaire 

Nous pensons que le Togo est jusqu’ici épargné par le terrorisme, ce n’est certainement pas par mérite, mais une chance. On peut aussi en partie expliquer cela par le fait que le Togo dispose d’un service de renseignement efficace qui a permis d’intercepter à plusieurs reprises des dizaines de présumés terroristes. L’armée  est aussi efficace dans ce domaine avec un commandement solide. Le problème, c’est que le Togo ne collabore pas assez avec les autres pays.

Tous les pays voisins se sont plaints de ce que le Togo ne fournit pas assez d’informations. Notre candidat encourage les discussions, le partage des informations et une mutualisation des forces pour contrer le terrorisme. La mutualisation d’information et des forces, une force sous-régionale de la CEDEAO par exemple, serait une solution pour lutter contre le terrorisme, les États ayant montré leurs limites à lutter contre ce fléau.  L’exemple du Niger et du Burkina Faso qui sont régulièrement frappés montre que seul aucun État ne peut faire face à cette menace sécuritaire.

La naissance de l’ECO

On peut aller beaucoup plus vite et bien. Le candidat pense qu’il faut écouter le Nigéria qui a pris position sur la question de la monnaie en dénonçant les décisions annoncées par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara le 22 décembre 2019. Le Nigéria seul fait 71% du PIB de l’Espace CEDEAO, il faut donc associer ce pays et le Ghana qui ont déjà de l’expertise dans la gestion de monnaies pour aider à la mise en place de la nouvelle monnaie. Agbéyomé pense qu’il faut une monnaie qui ne soit pas reliée à une devise, mais à un panier de devises, une monnaie flexible qu’on peut dévaluer ou surévaluer en fonction des besoins économiques et des priorités de la zone.

La participation de la femme

Agbéyomé Kodjo a prévu une loi qui oblige les partis politiques non pas à présenter les femmes, mais à mettre des femmes en posture de gagner. Il s’agit d’alterner homme et femme sur les listes. Le système de microfinance dans sa forme actuelle maintient les femmes dans une spirale de prêts, dont elles dépendent. Il faut augmenter le montant des prêts et réduire les taux de remboursement pour sortir les femmes de ce cycle infernal. La gratuité de l’école permettra aux femmes d’être scolarisées et de mieux se positionner dans la société. Il faut reconstruire les grands marchés de Lomé, de Kara et multiplier les marchés modernes dans le pays pour permettre aux femmes d’avoir des espaces pour réaliser leurs activités génératrices de revenus.

Le processus électoral apaisé

En tant que parti politique, nous n’avons pas un engagement particulier. Agbéyomé Kodjo a toujours été un homme de paix depuis qu’il est en politique. C’est à l’État de garantir la paix dans le pays. Mais si le gouvernement organise la fraude, cela peut conduire les populations à sortir dans la rue. L’État doit éviter de frustrer les citoyens comme il le fait déjà en interdisant l’observation électorale.

Si au soir du 22 février, Agbéyomé Kodjo gagnait les élections, il est évident que nous allons revendiquer notre victoire et nous allons appeler les Togolais à sortir massivement dans la rue réclamer notre victoire. A partir de ce moment, on connait la réponse traditionnelle du régime qui est la répression ; c’est possible que cela dévie sur la violence et ce sera le gouvernement qui en sera responsable.

Agbéyomé Kodjo appelle les Togolais à voter dans la paix et surtout très tôt et à attendre sur les lieux pour voir les résultats. Nous exhortons le gouvernement à déployer le matériel électoral dans les délais prévus par la loi. Pour des besoins de transparence, nous exhortons la CENI à proclamer les résultats bureau de vote par bureau de vote.


Source photo : 228news.com

 

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