Sokodé : une ville togolaise particulièrement touchée par la Covid-19

Sokodé : une ville togolaise particulièrement touchée par la Covid-19

Les entretiens de WATHI – Série Covid-19 – Focus Togo

Bozisso Essowavana

La ville de Sokodé est citée comme seconde ville la plus infectée par le Covid-19 au Togo. Comment expliquez-vous cette escalade des contaminations dans la région centrale ?

C’est depuis avril 2020 que la région Centrale est devenue deuxième épicentre de la pandémie de la Covid-19 au Togo. C’est ce qui a d’ailleurs conduit les autorités togolaises à étendre le couvre en vigueur uniquement dans le Grand Lomé, aux trois principales villes de la région centrale : Sokodé, Sotouboua et Tchamba, afin de ralentir la propagation du virus. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette escalade des contaminations. Je ne parlerai que de la ville de Sokodé, que je maîtrise, car d’autres facteurs peuvent intervenir  dans les autres localités de la région.

Le premier facteur est indéniablement la non croyance en l’existence de la pandémie de la COVID-19. A Sokodé, les communautés ne croient toujours pas en l’existence de la Covid-19. Si au départ, les chiffres indiquant le nombre de morts en Occident ont terrorisé nos populations, ces dernières ont très vite conclut que la pandemie ne concernait que les blancs et que le noir en était préservé. La Covid-19 n’était qu’une pure invention des autorités togolaises pour mieux maîtriser cette localité contestataire, ce qui justifierait le couvre-feu décrété à partir de 18 heures. Ainsi, les mesures barrières ont été très peu respectées. La plupart des gens portent le masque uniquement quand ils aperçoivent un policier à côté. La distanciation sociale n’était pas respectée. Les jeunes ont continué de se retrouver en groupe. Ce qui a largement contribué à la progression du virus.

Le second facteur concerne les évènements culturels organisés par certaines communautés en dépit de l’interdiction des festivités. A titre d’exemple, le nid du Coronavirus a été localisé dans un couvent situé dans un village de Sokodé. C’est dans ce village qu’est installé, le centre Kouvon, une institution de promotion des religions endogènes qui réunit des ressortissants de plusieurs pays (Canada, Etats Unies, Burkina Faso, Benin, Cameroun etc.. ) au mois de mars de chaque année dans le cadre de cérémonies de libation et d’immolation des bêtes. Le centre est d’ailleurs tenu par des expatriés. L’évènement culturel du rastafari organisé cette année qui a réuni un grand nombre d’étrangers et de locaux a constitué un terreau fertile pour la propagation rapide du virus.

Le troisième facteur d’augmentation des cas dans la région centrale, c’est la célébration des fêtes relieuses et traditionnelles. Les mesures barrières, notamment le port du masque, l’usage d’un tapis individuel et la distanciation sociale préconisés n’ont pas été forcement respectés lors des fêtes de Tabaski et Ramadan qui ont eu lieu en pleine crise sanitaire. Sachant bien que Sokodé est la ville qui regorge la majorité des musulmans au Togo, on peut comprendre que la célébration de ces deux fêtes a contribué à la propagation du virus dans cette localité. Les autres fêtes chrétiennes et traditionnelles célébrées ont également contribué à la progression du virus. Dans les mosquées, les églises et sur les places publiques,  les gens feignent de porter les masques et de respecter la distanciation physique, mais très rapidement on peut constater un délaissement.

Il ne faut pas perdre de vue le fait que Sokodé est une ville commerciale, c’est le commerce qui alimente l’économie de cette région. Cette ville est également réputée pour le développement du secteur du transport. En effet, plusieurs chauffeurs de bus et de taxi y sont basés. Les déplacements liés au commerce et ceux liés à l’activité de transport ont également contribué à l’aggravation de la situation sanitaire.

Par ailleurs,  Sokodé est très représentée dans la diaspora togolaise. Les ressortissants de cette ville sont réputés pour leur capacité à immigrer vers d’autres pays, notamment l’Allemagne. A la réouverture des frontières aériennes, nombreux sont les fils et filles de cette ville qui sont revenus au bercail. Parmi eux, il y avait évidemment des cas non découvert à l’arrivée.

Quelle est votre appréciation de la gestion du COVID-19 par les autorités locales ?

Les autorités locales ne sont pas parvenues à maîtriser la situation à temps. On a très vite observé  un relâchement des populations de la ville en ce qui concerne les mesures barrières. Il a fallu l’intervention de l’autorité centrale avec des mesures extrêmes de bouclage des localités et de couvre-feu empreint d’une certaine  violence pour rompre la chaine de contamination. En effet, la Force spéciale anti-pandémie (FOSAP) a privilégié la violence à la sensibilisation pour contraindre les populations au respect des mesures barrières.   On a vu cette manifestation des femmes contre le zèle des éléments de la FOSAP qui sanctionnent les gens qui ne portent pas de masque en étant seul ou en mangeant.

D’un autre côté, il faut signaler que les autorités locales ne disposaient pas de moyens adéquats pour faire face à la pandémie à Sokodé dans cette ville contestataire.

Quels sont les impacts socio-économiques de cette pandémie ?

A Sokodé, le Coronavirus a fragilisé le commerce, principale activité économique de la localité. En effet, le couvre-feu instauré à partir de 18 heures ne favorise pas l’entrée et la sortie des marchandises dans la ville. Localité  principalement commerciale, Sokodé dépend des autres villes en ce qui concerne les vivres. Bien qu’ils soient autorisés de transporter des marchandises, les transporteurs rencontrent d’énormes difficultés avec les multiples barrages établis par les éléments de la FOSAP tout au long de la nationale. Par ailleurs, le transport des personnes constitue une activité importante pour la localité.

En obligeant les chauffeurs de taxis et de bus à embarquer la moitié des passagers habituels au même prix, on les oblige également à garer leur véhicule, ne pouvant plus faire de bénéfice. Plusieurs chauffeurs se sont retrouvés sans emploi. L’autre impact sur lequel je ne vais pas insister c’est l’augmentation des grossesses des mineurs. Sokodé était déjà connu pour le grand nombre de grossesses de mineurs. Avec la fermeture des écoles, le nombre de ces grossesses a explosé. Enfin, Sokodé, ville culturelle, n’a pas pu organiser les différents évènements culturels habituels.


Crédit photo : Togofirst

Bozisso Essowavana

 

Bozisso Essowavana est anthropologue. Il intervient sur un projet de renforcement du dialogue dans les communautés pour le compte d’une ONG.

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