Samy Sarr est le fondateur d’une entreprise sociale dynamique et tournée vers l’avenir qui s’efforce d’engager, d’autonomiser et d’éduquer les communautés démunies du Togo, du Ghana et de la Gambie, en Afrique de l’Ouest. Il croit en une approche intégrée du développement, en œuvrant principalement pour des systèmes de production alimentaire durables et en mettant en œuvre des pratiques agricoles résilientes qui augmentent la productivité des sols et la production. Les techniques de Samy Sarr permettent de maintenir des écosystèmes sains, de renforcer leur capacité d’adaptation au changement climatique et d’améliorer progressivement la qualité des terres et des sols.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre engagement en faveur des questions sociales et environnementales ?
Je m’appelle Sammy Sarr et je suis un entrepreneur. J’ai mis en place un projet appelé « Kailend », une entreprise sociale caritative qui a démarré en 2013. Nous nous engageons principalement dans la production agricole biologique. Nous cultivons principalement des fruits et des légumes. Nous essayons de suivre la chaîne de valeur agricole au Togo pour créer des opportunités d’emplois et de formation professionnelle. L’objectif principal de « Kailend » est de créer des emplois, d’offrir des possibilités de formation et de s’engager dans l’agriculture durable pour lutter contre les effets du changement climatique.
Notre ferme est située à Agou-Nyogbogan, dans la région des Plateaux au Togo, et le chef-lieu du district est Kpalimé. En pratiquant l’agroécologie, nous voulons laisser un meilleur héritage aux générations futures. L’accent est mis sur l’impact social.
Nous avons lancé « Kailend » en 2013. Nous nous occupions alors d’enfants en difficulté, de projets de football, de soutien à des orphelinats et nous formions des femmes en situation de faible revenu à la bijouterie, à la fabrication de pain et à d’autres activités. Nous avons suivi ce modèle jusqu’en 2017-2018, puis, j’ai pris la décision de changer de modèle, de restructurer l’organisation, car notre ancien modèle n’était pas durable. En tant qu’ONG, nous comptions sur les gens pour venir contribuer à nos projets et choisir l’activité qu’ils voulaient soutenir dans tout ce que nous faisons. Cette façon de procéder n’était pas durable parce que vous dépendez de ceux qui investissent, et si personne ne se manifeste, votre organisation ne fonctionne pas correctement et les personnes que vous soutenez ne peuvent plus bénéficier de vos appuis. En 2017, j’ai donc décidé résolument de changer de paradigme, et en 2018, nous avons lancé « Kailend Farm. »
Le Togo est le premier pays d’Afrique de l’Ouest pour la production biologique et le huitième dans le monde
« Kailend Farm » est une filiale de « Kailend », l’organisation caritative. Kailend est propriétaire de Kailend Farm et nous avons une ferme de cinq hectares. Nous pratiquons une agriculture entièrement biologique et nous avons différentes sections. Nos principales activités sont les arbres fruitiers et le jardinage : tomates, concombres, carottes, etc. En ce moment, nous produisons trois variétés différentes de tomates. Nous produisons également du gombo, la papaye et du poisson. Nous pratiquons l’apiculture et le biogaz, diversifiant ainsi nos sources de revenus. Les jeunes, les femmes, les agriculteurs, quiconque peut venir apprendre et reproduire les systèmes chez lui ou dans sa propre ferme ou, s’il le souhaite et s’il est doué, nous pouvons l’embaucher dans notre propre ferme. Nous produisons essentiellement pour le marché extérieur parce qu’il est plus rentable. Le marché local est secondaire.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation actuelle du secteur agricole au Togo ?
Commençons par le positif : le Togo compte de nombreux petits producteurs qui peuvent très bien produire des denrées alimentaires ici. Le Togo est le premier pays d’Afrique de l’Ouest pour la production biologique et le huitième dans le monde. Il y a ici des jardiniers et des agriculteurs compétents. Les principales cultures commerciales sont le cacao et le café, mais ils cultivent aussi beaucoup de manioc pour le transformer en farine. Ils produisent également le maïs, le soja et le coton. À ma connaissance, ce sont là les principales activités agricoles du Togo, et je dirai qu’il s’agit d’une équipe saine et dynamique de petits producteurs.
Passons maintenant aux défis. Il y a en premier lieu, le manque d’accès au marché. En Afrique, comme en Occident par exemple, une grande partie de la nourriture est gaspillée au niveau du consommateur. La plupart des Togolais pratiquent l’agriculture de subsistance, c’est-à-dire qu’ils cultivent des aliments pour survivre, ce qui n’a rien à voir avec l’agro-industrie. L’agrobusiness est pratiqué par les acteurs les plus importants du secteur agricole, les agriculteurs moyens n’ont pas les capacités de s’y investir. C’est encore plus difficile avec les changements climatiques à cause des précipitations qui ne sont plus régulières. 60 % des agriculteurs en Afrique n’ont pas accès à l’irrigation. Pendant la saison sèche, ils ne peuvent pas produire et ce qu’ils peuvent produire, même pendant la saison des pluies, fluctue à présent en raison du changement climatique. Il y a dans un second temps, la question du financement agricole.
L’aliment de base du Togo est un plat appelé « la pâte ». Il s’agit de la farine de maïs que l’on mélange avec de l’eau, et que l’on remue sur le feu jusqu’à ce qu’elle devienne épaisse. Les togolais préfèrent par ailleurs du riz mélangé à du haricot. Le riz est généralement importé mais ces dernières années, j’ai constaté une tendance à acheter du riz local. Personnellement, je n’achète que du riz local, j’aime soutenir l’économie locale. Cependant, on ne peut pas comparer la disponibilité du riz local à celle du riz importé. Le problème du riz local est qu’il est plus cher et les agriculteurs utilisent des pesticides même si je pense que c’est aussi le cas du riz importé.
Vous travaillez également au Ghana et en Gambie. Les réalités au Togo sont-elles différentes de celles de ces deux pays ?
Notre vision est d’opérer en Afrique de l’Ouest et d’avoir ces fermes écologiques un peu partout. Pour l’instant, nous nous concentrons sur la région des Plateaux. Mon père est sénégalais, mais je suis né et j’ai grandi en Gambie. Il nous a fallu quatre ans au Togo pour obtenir les documents nécessaires à la création d’une association caritative. J’ai suivi une formation sur les ONG au Ghana pendant deux ans et une formation sur l’agriculture durable à Porto-Novo, au Bénin. Au Ghana et en Gambie, nous ne sommes pas encore activement engagés dans un projet, mais nous travaillons avec le département de la protection sociale. Il s’agit davantage d’un plan pour l’avenir. Le Togo est le seul pays où nous avons un projet actif et nous travaillons à plein temps sur ce projet qui est notre ferme agricole en croissance.
60 % des agriculteurs en Afrique n’ont pas accès à l’irrigation
Le Ghana connaît probablement les mêmes problèmes que le Togo en termes de production et de rendement. Le Togo est tout de même un pays plus petit. La population du Togo est d’environ 8 millions d’habitants et celle du Ghana de 28 ou 29 millions. Le Ghana a une économie plus importante, c’est le deuxième producteur mondial de cacao, c’est un leader mondial. Beaucoup de choses sont donc plus avancées au Ghana, comme par exemple l’accès à certaines technologies telle que la serre. Au Togo, on peut trouver cette technologie, mais c’est plus difficile ou il faut généralement la faire venir de l’extérieur. De plus, l’anglais étant la langue des affaires dans le monde, le Ghana est tout simplement plus ouvert au commerce international. Toutefois, je dirais que, même si le Togo produit moins, il possède des compétences plus raffinées, notamment en ce qui concerne la production biologique.
En ce qui concerne la Gambie, sa production est faible. La Gambie est un petit pays de 2,5 millions d’habitants. Son industrie agricole n’est pas très développée, elle se concentre principalement sur le tourisme. Cependant, elle a été poussée à se lancer dans l’agriculture.
Par quels moyens concrets, vous vous engagez auprès des communautés pauvres du Togo ?
Nous travaillons principalement dans le village d’Agou-Nyogbogan, situé à proximité de la montagne d’Agou, l’un des points culminants de l’Afrique de l’Ouest. Nous travaillons activement avec deux orphelinats. Le groupe cible est constitué de femmes à faibles revenus, de petits exploitants agricoles et de « jeunes à risque ». Les « jeunes à risque » sont ceux qui ont abandonné l’école, les enfants qui étaient à l’orphelinat, parce qu’il y a une loi au Togo qui stipule qu’une fois qu’on a atteint l’âge de 18 ans, on ne peut plus rester à l’orphelinat.
Tout d’abord, nous les emmenons à la ferme, et s’ils le souhaitent, ils ont la possibilité de suivre une formation. Ce n’est pas une salle de classe, ils viennent et apprennent en pratiquant. J’ai moi-même appris l’apiculture en lisant le livre Apiculture pour les nuls et en regardant YouTube. Une grande partie de ce que vous faites, vous l’apprenez au fur et à mesure. Les meilleurs peuvent être embauchés. Parmi les avantages que nous offrons à notre personnel, il y a le logement, trois repas par jour durant toute la semaine et une couverture médicale.
Quels selon vous, les trois principales difficultés d’une start-up dans le contexte entrepreneurial togolais ?
Tout d’abord, il y a le défi du capital. Nous avons besoin de capitaux pour acheter des terres, des semences, de l’eau et d’autres produits de première nécessité. Je dis toujours aux jeunes : « Ne demandez pas d’argent, demandez ce dont vous avez besoin ». La vérité est que nous vivons dans un monde capitaliste et tout est lié à l’argent. Si vous êtes un agriculteur moderne, vous avez besoin de collaborateurs sur vos projets. Vous devez leur trouver une chambre, leur verser un salaire. Le principal défi est donc l’accès au capital. Dans certains pays comme le Ghana, le Kenya ou l’Ouganda, les projets de développement sont nombreux, mais au Togo, ils sont très limités.
Deuxièmement, il y a l’accès aux ressources humaines. Même si vous avez de l’argent, cela ne garantit pas que vous aurez des travailleurs qualifiés. Si vous regardez dans la région, vous constaterez que les jeunes quittent les zones rurales pour aller dans les zones urbaines. Cette tendance se retrouve également au Sénégal : les jeunes vont à Dakar. Comme Lomé est plus petit, les jeunes togolais vont à Lagos, au Nigeria, ou à Accra, au Ghana où il y a un plus grand marché et des emplois mieux rémunérés. Le secteur agricole est confronté à une pénurie de main-d’œuvre au Togo. Dans les villages, dès que les jeunes atteignent l’âge de 18-19 ans, ils partent. 42 % des élèves africains abandonnent l’école avant la fin du primaire. Pour moi, cela n’a pas de sens, ils pourraient au moins obtenir un certificat d’études.
Troisièmement, il y a l’accès au marché. Au Togo ou en Gambie, il n’y a pas de marché de producteurs. Par contre au Kenya, il y a le marché agricole de Nairobi. Je pourrais produire les meilleures tomates, mais beaucoup de mes clients n’aiment pas gaspiller la nourriture, alors ils n’en veulent qu’un ou deux kilos. Mais alors, que faire des 20 autres kilos ?
Quelles sont vos recommandations à l’endroit des agriculteurs pour une production durable et respectueuse de l’environnement ?
Nous devons simplement revenir à nos racines, et adapter la modernité à nos réalités. Nos anciens systèmes en Afrique étaient biologiques, il faut donc y revenir. L’agroécologie durable et résistante signifie que l’on produit des aliments de manière à créer une synergie. De nombreuses terres sont mortes en Afrique à cause de la monoculture.
Comme Lomé est plus petit, les jeunes togolais vont à Lagos, au Nigeria, ou à Accra, au Ghana où il y a un plus grand marché et des emplois mieux rémunérés
Dans les villages, il y avait beaucoup de disputes autour de la question. Les peuls qui étaient des nomades, avaient l’habitude de se promener partout en mangeant le maïs des gens dans leur ferme. Le chef du village a donc eu de grandes discussions avec le chef Peul pour lui faire du mécontentement des villageois. Cependant, j’ai commencé à remarquer l’année dernière et cette année, que les gens invitent maintenant les peuls sur leurs terres parce que la productivité des sols diminue. Lorsque les peuls viennent avec leurs vaches, ils restent pendant des semaines. Les vaches font leurs besoins partout et nous savons tous que le fumier de vache est comme un engrais. Cet engrais enrichit donc le sol naturellement.
Si vous prenez soin de la nature sur le long terme, elle vous le retourne durablement. Il ne s’agit pas de produire 10 tonnes de tomates en un an. Il s’agit de produire des centaines de kilos de tomates chaque année.
Je vais vous donner quelques exemples de ce que nous faisons dans notre ferme. Nous pratiquons le paillage. Cela aide à conserver l’humidité, encourage les micro-organismes à se développer, ce qui enrichit le sol. Ensuite, ce paillage se décomposera en compost. Nous ne jetons rien. Nous avons un système de filtration saisonnière dans notre cuisine et nos toilettes. Nous avons un système artisanal dans lequel nous plaçons le charbon de bois que nous avons stratifié dans trois réservoirs souterrains. Lorsque les déchets humains sont introduits, l’excédant d’eau est drainé dans le deuxième tuyau, puis l’excédant est filtré pour être envoyé dans le troisième et nous avons des tuyaux de trop-plein. Tous nos déchets de cuisine et de toilettes sont utilisés pour nourrir les bananiers, sachant que les bananiers décomposent les déchets mieux que n’importe quelle autre plante dans le monde. Nous recyclons même si, à l’heure actuelle, il est difficile de recycler parce qu’il n’y a pas d’installation de gestion des déchets propice sur place. Il nous arrive d’utiliser une brique de lait comme poteau pour la pépinière.
Je pense que beaucoup de gens qui produisent sont très égoïstes dans leur façon de produire, et je ne parle pas seulement du Togo ou de l’Afrique, mais de la monoculture dans le monde entier. Ils tuent le sol. Les générations futures hériteront d’un sol pauvre et dégradé et devront travailler encore plus dur pour produire de la nourriture. Si l’on examine les statistiques mondiales, on constate que la population augmente très rapidement et que la production alimentaire ne suit pas. D’ici 2050, nous aurons donc de gros problèmes. C’est pourquoi, j’ai décidé de me lancer dans l’agriculture. Il y aura une pénurie alimentaire, et c’est d’ailleurs déjà le cas dans certains pays. La prochaine étape pour notre entreprise consiste à transformer les tomates que nous produisons.
Les générations futures hériteront d’un sol pauvre et dégradé et devront travailler encore plus dur pour produire de la nourriture
En résumé, l’agriculture durable et résiliente est synonyme de polyculture et de conservation de l’eau et du sol. Les gens considèrent que la régénération du sol va de soi, mais cela prend beaucoup de temps si on n’a pas fait les choses dans les normes. À la base, tout commence par l’éducation. Nous sommes l’un des dix agents de la région à proposer des produits biologiques, ce qui est très peu si l’on considère les milliers d’agriculteurs que compte cette région. 1 % des terres arables du Togo sont utilisées pour l’agriculture biologique, c’est une honte. Nous devons expérimenter d’autres façons de cultiver la terre.
C’est pourquoi, à notre niveau, nous essayons de trouver un équilibre entre la protection de l’environnement et la réalisation d’un profit car, au bout du compte, la ferme doit produire et vendre malgré notre statut d’ONG caritative. J’essaie de créer un système où, même si je ne suis pas là en tant que fondateur et directeur, le processus pourra suivre son cours normal.
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