WATHI est allé à la rencontre de Elom 20ce, artiste et rappeur togolais engagé et très attaché à son pays. Dans cette deuxième partie de l’entretien, il évoque la question du CFA et de l’Eco et l’importance de la culture et de l’art dans la société.
Que pensez-vous de l’engagement des jeunes africains ?
Je pense que la jeunesse africaine a beaucoup de revendications, mais parfois, elle fait l’économie de la réflexion. Beaucoup de nos jeunes sont malheureusement dans l’émotion. Nous sommes souvent trop dans l’émotion et c’est normal, c’est même légitime, mais on ne gagne aucune guerre en étant tout le temps dans l’émotion.
Actuellement, je suis très critiqué car je participe aux états généraux de l’Eco. Je ne suis pas contre les critiques, mais à quel moment nous en tant que jeunes africains participons aux débats sur l’Eco ? À quel moment, nous disons que nous sommes pour ou contre quelque chose ? Ce qui m’intéresse, c’est ce que j’apporte sur la table. C’est très important de participer aux débats sur l’Eco.
Aujourd’hui, les gens sont contents de parler de Bob Marley, mais ils ne savent pas ce que ses chansons veulent dire. Les gens sont contents de parler de Thomas Sankara, mais ils ne savent pas quelles étaient les idées de Sankara. Les gens dansent sur du Fela Kuti dans des soirées et fêtes sans comprendre le sens de ces danses. Ils sont juste contents de citer ses noms à tous moments.
J’ai 40 ans et à cet âge, je ne peux plus avoir un discours qui prône l’attente. Il faut qu’on chante la souveraineté, l’émancipation et qu’on soit à la hauteur de cette émancipation. Je pense que tout Africain doit donner son point de vue sur la question de l’Eco. Tout artiste doit avoir droit à la parole dans cette histoire de monnaie. À chaque fois que nous pouvons donner notre point de vue, nous ne devons pas fuir.
Quel est votre avis sur le FCFA ? Pouvez-vous nous parler de votre engagement contre le FCFA ?
Il faut noter qu’avant le débat sur l’Eco, j’avais participé à la réalisation d’une musique intitulée « 7 minutes contre le CFA ». À chaque fois qu’on a des espaces où nous pourrons donner notre point de vue, il faut les investir. Il ne faut pas les fuir, surtout à l’aube des 40 ans. Mon point de vue sur l’Eco, les gens le connaissent déjà. J’ai un sorti un album en vinyle intitulé « Currency ».
Je me suis investi dans le débat sur l’Eco quand j’ai été contacté par l’économiste et ancien ministre togolais Kako Nubukpo pour participer aux états généraux de l’Eco pour réfléchir sur la monnaie en général. Pour pouvoir faire cela, j’ai créé un scénario mental dans lequel je me suis mis dans la peau de billets d’Eco avec lesquels on doit payer quelqu’un et faire des transactions financières.
J’aimerais préciser que je suis artiste, je ne suis pas économiste. Je peux donner mon point de vue sur quelque chose parce que j’ai droit à la parole, mais je suis obligé de travailler avec des gens qui maîtrisent le sujet. En matière de monnaie, il y a des éléments très techniques que parfois seuls des experts du domaine peuvent maîtriser.
On doit s’approcher d’eux et échanger avec eux, mais aussi leur faire comprendre qu’en-dehors de leurs outils, nous pouvons aussi concevoir d’autres choses. Le Mali est l’un des rares pays francophones à part la Guinée, qui avait battu sa propre monnaie à l’époque. Est-ce que nous avons pris le temps de comprendre pourquoi le Mali est revenu au CFA ? Quels sont les problèmes auxquels les pays sont confrontés notamment sur la question de la monnaie?
Qu’est-ce que la monnaie ?
Quand on parle de monnaie, ce n’est pas simplement le papier qu’on voit. Selon moi, la monnaie est un outil de transactions. La monnaie permet de faire des échanges. Vous savez la manière dont nous pensons nos transactions, même nos échanges économiques en dit long sur notre personnalité.
Je peux donner mon point de vue sur quelque chose parce que j’ai le droit à la parole, mais je suis obligé de travailler avec des gens qui maîtrisent le sujet
Quand on voit le monde actuel dans lequel nous sommes, nous sommes dans l’utilisation offensive de la monnaie (par exemple dans le système capitaliste, les transactions d’une personne sont déterminées en fonction du nombre d’heures de travail).
Devrions-nous revenir à nos sociétés africaines précoloniales ?
À la base, il y avait le troc chez nous. Il n’y avait pas de monnaie comme aujourd’hui, mais les gens échangeaient entre eux grâce au troc. À un moment donné, la monnaie a été créée pour accumuler du capital. Selon moi, nous devons créer des monnaies qui ressemblent à nos économies.
La monnaie est-elle une arme de contrôle ?
Nous voyons tous comment la France se bat toujours pour garder le CFA dans les pays de l’Afrique francophone. Le nom CFA (Colonie française d’Afrique) laisse clairement comprendre que la monnaie est toujours un outil de contrôle. Même dans les pays asiatiques, notamment la Chine, nous voyons aussi comment la monnaie électronique (Les caisses et les billets n’existent presque plus, tout se passe avec le téléphone…) constitue aussi un autre système de contrôle et de domination de la population.
Nous devons créer des monnaies qui ressemblent à nos économies
Quel système économique faudrait-il mettre en place pour les pays africains ?
Il y a d’autres formes d’économies que nous pouvons créer dans nos pays. Il faut voir ce que les gens font dans les communautés. J’ai envie de partager avec vous l’exemple d’un collectif Congolais qui vend leurs œuvres d’arts pour racheter leurs terres. La réflexion de certains artistes va parfois même plus loin que la réflexion des économistes.
Quelle solution pour avoir une émancipation ou une souveraineté monétaire en Afrique ?
Il y a toujours des solutions et non une solution. Je pense que c’est à plusieurs que nous trouverons des solutions et c’est comme cela que nos grands-parents faisaient les Choses. Nous devons réapprendre à travailler ensemble. Travailler ensemble, c’est important, car je ne suis pas économiste, je ne connais pas le fonctionnement précis d’une monnaie.
Nous devons penser à créer des monnaies africaines indépendantes des banques étrangères et prendre en compte l’intérêt collectif
Je pense qu’il faut ramener le souci du collectif, c’est-à-dire l’intérêt collectif avant l’intérêt individuel. Nous devons penser à créer des monnaies africaines indépendantes des banques étrangères et prendre en compte l’intérêt collectif. Le Nigeria et le Ghana ont leurs propres monnaies, mais est ce que leurs populations arrivent-elles à vivre décemment ?
Quelle est l’importance de la culture dans une société ?
Quand tu as eu à connaitre la faim dans ta vie et ce fut mon cas, c’est la musique, la lecture, les arts de manière générale qui te permettent de résister. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’art dans une société. Malheureusement, j’ai l’impression que dans nos sociétés, on a souvent tendance à assujettir le pouvoir de l’art. Au Togo par exemple, nous n’avons pas assez d’espaces dédiés aux arts.
Crédit photo : wadjoradio.fr
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