« Chanter la réalité, la souffrance et le désarroi d’un peuple pour beaucoup signifie faire une musique violente », entretien avec Elom 20ce, artiste et rappeur togolais (première partie)

« Chanter la réalité, la souffrance et le désarroi d’un peuple pour beaucoup signifie faire une musique violente », entretien avec Elom 20ce, artiste et rappeur togolais (première partie)

WATHI est allé à la rencontre de Elom 20ce, artiste et rappeur togolais engagé et très attaché à son pays. Dans cette première partie de l’entretien, il évoque les liens entre la musique et la politique mais aussi la musique comme forme d’engagement.

Quel lien faites-vous entre la musique et la politique ?

Je dirai plutôt qu’il y a une réalité entre combat politique, combat tout court et musique. Je pense que toutes les révolutions avaient leurs “bandes originales ou bandes sons”. Il y a toujours eu de la musique sur les champs de batailles. C’étaient des musiques pour galvaniser et encourager les combattants ou des musiques pour résister. En effet, je considère une partie de ma musique comme une musique de résistance.

Je viens de finir une interview avec des Congolais qui m’a énormément marqué. Une des personnes m’a raconté qu’elle avait participé à la réalisation d’un documentaire, et que dans le cadre de cette réalisation, elle était partie à New York. Là-bas, on lui avait sorti un jeu de divination, une pièce de divination congolaise. On lui avait dit de ne pas la toucher mais il n’a pas écouté et il l’a touché. Tout cela pour dire que pour lui, le fait de toucher cette pièce était un acte de résistance et de récupération de pouvoir car le pouvoir ne réside pas dans le matériel.

J’ai envie de faire une musique qui bouscule, une musique qui réveille parce qu’on ne réveille malheureusement pas les gens en les caressant, on doit forcément les bousculer

Selon lui toujours, quand les gens disent qu’il faut ramener les objets volés dans les musées africains, ce ne sont pas tant les objets qui importent mais la capacité à transférer les énergies qui sont dans ces objets. C’est la chose la plus intéressante. C’est comme le transfert de crédits. Je ne transfère rien matériellement mais j’ai quand même du crédit qui quitte mon téléphone pour aller sur un autre. Je pense que pour la musique c’est pareil. Elle a le pouvoir de transférer des énergies, de convoquer l’invisible, de galvaniser les gens, de donner de l’espoir et de guérir autant le corps que l’esprit.

J’ai envie de faire une musique qui bouscule, une musique qui réveille parce qu’on ne réveille malheureusement pas les gens en les caressant, on doit forcément les bousculer. J’ai envie de faire une musique qui est un tant soit peu spirituelle. Et quand je parle de spirituel, c’est pour convoquer l’invisible. Cet invisible qui fait partie de nos vies. J’ai l’impression que souvent, on s’attache plus au matériel qu’à l’immatériel, alors que pour moi, en méditant aussi sur l’invisible dans nos réflexions, on parvient à faire participer d’autres imaginaires.

Quelle est votre définition de l’invisible ?

L’invisible c’est ce qu’on ne voit pas. Des choses que nous ne voyons pas, il y’en a beaucoup mais elles existent quand même. Par exemple, avoir espoir en nous est l’une de ces choses. On n’achète pas l’espoir au marché, on ne retrouve pas l’espoir à la plage, l’espoir est quelque chose qui existe, qu’on ne voit pas, mais qu’on peut ressentir. C’est comme la musique. C’est cela pour moi, une des fonctions de la musique. Bob Marley disait : « when it hits you feel no pain » quand ça te frappe, tu ne sens pas de la peine. C’est cela l’invisible pour moi.

Quel est le lien faites-vous entre votre musique, le Togo et la spiritualité ? Pourquoi le Togo ?

Je suis né au Togo. Si j’étais né au Congo, ce serait le Congo. Si j’étais né ailleurs, ce serait ailleurs. Je ne pense pas chanter pour le Togo. Si c‘était le cas, je chanterais plus dans les différentes langues du pays comme le kotokoli ou l’éwe. Je rappe principalement en français parce que cela me permet de toucher plus d’auditeurs.

Pourquoi chanter en français si vous vous considérez comme un « décolonialiste » ? 

Je pense qu’il faut se saisir de ces outils et savoir et les réutiliser. Même si je chante en français, mes pensées restent vernaculaires même si je n’aime pas trop ce terme. Elles restent très ancrées dans ma tradition et dans ma manière de voir le monde. Après, le français n’est qu’un véhicule de communication comme l’anglais.

Il y a des choses dans ma musique que je ne peux pas forcément traduire en français, ce sont des incantations. Malgré tout, je fais une musique où les paroles sont beaucoup mises en avant. Si j’avais une belle voix et que mes chansons étaient hyper mélodieuses, je pourrais choisir un style comme le chanteur congolais Franklin Boukaka et ne chanter qu’en lingala du début jusqu’à la fin.

Même si je chante en français, mes pensées restent vernaculaires même si je n’aime pas trop ce terme

Personnellement, il m’est arrivé d’aller dans des concerts où je me suis déjà ennuyé car je ne comprenais pas ce qui se disait. Même si à certains moments j’aime le flow et la vibration de la musique, j’aime surtout comprendre le message. Malheureusement ou heureusement aujourd’hui, le fait que quelqu’un rappe en français qu’il soit de la Guadeloupe ou de Madagascar fait que je comprenne ce qu’il a à dire.

Pourquoi avez-vous donné le nom « Amewuga » à votre album ? Terme éwé qui veut dire « l’homme vaut plus que l’argent » ?

J’ai donné le terme « Améwuga » car je crée une conversation de par ma langue. Mais cette conversation, je peux l’avoir en français comme tout de suite durant cet entretien. Parfois, c’est en anglais que je fais mes entretiens, car c’est l’une des langues les plus parlées au monde. J’essaye au maximum de rester le plus fidèle possible à certaines choses que je n’ai pas forcément envie de traduire. Donc pour moi, connaître plusieurs langues, c’est un atout parce que cela permet de te connecter à des imaginaires différents.

Vous considérez-vous comme un « rebelle » de la société ?

Je me considère comme un « rebelle ». Très clairement, je me considère comme un « rebelle » parce que je trouve que la résistance, c’est être à contre-courant. Être à contre-courant et rebelle pour moi c’est de ne pas forcément rester dans les normes établies par la société, parce que je considère que beaucoup de ces normes-là ne sont pas positives.

La meilleure manière de dire ce que je pense, c’est de le pratiquer d’une certaine manière. Je dis et fais des choses qui choquent les gens parce que, justement, ils ne sont pas habitués à cette manière de voir le monde. Quand je mets des habits en tissus africains avec des chaussures de marque Converse, les gens me regardent ou se questionnent sur mon style vestimentaire, mais ils ne sont pas choqués ou ne trouvent pas étrange de mettre des vestes à 3 pièces sous un chaud soleil. 

Qu’est-ce le terme « colonisation » vous évoque et votre musique est-elle violente ?

De plus en plus, j’essaye vraiment et simplement de faire attention à des mots comme « colonisation ». Cela existe, mais aujourd’hui, dans mon vocabulaire et dans ma réflexion, j’essaye de m’en détacher. Nous ne maîtrisons pas le sens, ni l’étymologie de ces termes qu’on nous a vendu et dont nous nous approprions et utilisons sans vraiment les comprendre.

Souvent, quand les gens me disent où me demandent si ma musique est violente ? Je leurs dis que ma musique n’est pas violente. Ces derniers n’arrivent pas à l’accepter ou à le comprendre, car le fait que je ne chante pas des choses mélodieuses ou romantiques, automatiquement, je fais de la musique violente. Chanter la réalité, la souffrance et le désarroi d’un peuple pour beaucoup signifie faire de la musique violente.

Quand nous sommes dans un pays où le premier président, du moins qu’on l’aime ou pas, a été assassiné et qu’on enseigne cela dans les écoles sans dire qu’il a été assassiné, c’est cela la violence. Quand j’ai grandi dans un pays où j’ai appris le français en étant tapé pour des fautes d’orthographe et fautes de grammaire, c’est de la violence. Quand on a presque le même régime au pouvoir depuis presque 50 ans. C’est de la violence.

Je ne me considère pas comme un artiste violent. Je me considère comme un artiste qui parle d’amour. Quand je dis cela, cela semble étrange car dans mes chansons, je parle de révolution.  Mais la révolution pour moi, c’est finalement l’amour qu’on a pour soi-même, pour nos coutumes et notre manière de vivre.

 


Crédit photo : pan-african-music.com

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