Les frontières du Togo par temps de COVID-19 : entre affirmation de l’autorité de l’État et développement d’une économie de la fermeture, Kossigari Djolar et Assogba Guézéré, Février 2021

Les frontières du Togo par temps de COVID-19 : entre affirmation de l’autorité de l’État et développement d’une économie de la fermeture, Kossigari Djolar et Assogba Guézéré, Février 2021

Auteurs : Kossigari Djolar et Assogba Guézéré

Type de publication : Article

Date de publication : Février 2021

Lien vers le document original

 

*Wathinotes are excerpts of publications chosen by WATHI and converted into original documents. The reports used to create Wathinotes are selected by WATHI based on their pertinence to the context of the countries and subjects in question. The goal of Wathinotes is to promote the reading and sharing of original documents that are not the property of WATHI, but written by highly qualified scholars and experts.


 

Frontières populaires versus frontières officielles

Inévitablement, les restrictions aux déplacements imposées par la crise sanitaire se sont accompagnées de la baisse substantielle des flux de voyageurs aux « frontières officielles » et, parallèlement, à la progression de ceux enregistrés aux « frontières populaires ». Ces dernières sont des points de passage sans existence légale mais tolérés par les autorités. Disposés sur toute l’« enveloppe frontalière » du territoire togolais, les points de passage « populaires » prospèrent sur un terreau favorable associant la défaillance des structures de contrôle et de surveillance aux frontières exacerbée par la vénalité des préposés aux postes-frontières officiels. La transfrontalité des communautés ethniques locales et l’absence d’obstacles topographiques majeurs sont d’autres facteurs favorisant ces points de passages non-officiels.

Les « frontières populaires » les plus fréquentées sont paradoxalement situées à proximité des frontières officielles. Ainsi, à Kémérida, à la frontière du Benin, le point de passage « populaire » le plus emprunté est distant de moins d’un kilomètre du point de passage officiel tenu par les FDS, à Sanvée-Condji, de la même façon, à la frontière du Benin sur le corridor Abidjan-Lagos, la « frontière populaire » longe la clôture entourant le Poste de Contrôle Juxtaposé (PCJ) qui marque la frontière officielle. À l’intersection Kodjoviakopé/Aflao (à la frontière du Ghana), la plage bordant les postes de police et les points de passages pédestres taillés dans la clôture grillagée nommés « beat » sont régulièrement arpentés par les voyageurs irréguliers. Enfin, à Cinkassé, à la frontière du Burkina Faso, de multiples points de franchissements illégaux sont proches du point de passage officiel.

Une économie de la fermeture profitable aux transporteurs informels

Une multitude d’acteurs tirent un profit économique de la fermeture des frontières terrestres du Togo, parmi lesquels figurent en bonne place les conducteurs de taxis-motos (« Zémidjan ») et, dans une moindre mesure, les transporteurs pédestres (« Agbanté »). L’activité des taxis-motos consiste à transporter des personnes à bord de motocyclettes. Peu onéreux et pratique pour la desserte des zones enclavées, ce mode de transport est dominant dans la capitale Lomé et constitue l’unique moyen de déplacement motorisé dans nombre de villes secondaires, ainsi qu’en milieu rural.

Depuis l’apparition de la crise sanitaire, l’activité des taxis-motos a enregistré une évolution contrastée en raison de la différence des niveaux de surveillance et de contrôle exercés aux frontières par les représentants de l’État. Ainsi, par exemple, dans la zone de Kodjoviakopé (frontière Togo-Ghana), où la frontière officielle est équipée d’une clôture grillagée sur une dizaine de kilomètres et fait l’objet d’une surveillance importante en raison de la proximité de la ville-capitale Lomé, l’activité des taxis-motos a sensiblement diminué. De fait, face à ce dispositif sophistiqué, de nombreux voyageurs préfèrent traverser à pied la « frontière populaire » qui borde la plage.

De surcroît, le renforcement de la présence des FDS aux frontières contraint de nombreux conducteurs de taxis-motos à aliéner une part importante de leurs gains dans les tractations avec ces représentants de l’État. À titre d’illustration, un transporteur opérant de part et d’autre de la frontière entre Lomé et Aflao, confiait avoir perdu plus des trois-quarts de son revenu journalier à cause du système de corruption instauré aux frontières : de 20 000 à 25 000 francs CFA (environ de 30 à 38 euros) par jour avant la fermeture des frontières, ses gains quotidiens oscillent désormais entre 5 000 à 7 000 francs CFA (environ entre 8 et 11 euros).

Une multitude d’acteurs tirent un profit économique de la fermeture des frontières terrestres du Togo, parmi lesquels figurent en bonne place les conducteurs de taxis-motos (« Zémidjan ») et, dans une moindre mesure, les transporteurs pédestres (« Agbanté »)

Cette situation contraste avec le dynamisme de l’activité des taxis-motos observé le long d’autres tronçons frontaliers, où les transporteurs ont vu la demande de leurs services doubler et, par conséquent, leurs gains augmenter. C’est le cas d’un conducteur de taxi-moto togolais fréquentant l’axe Kémérida-Kassoua (frontière Togo-Benin) dont le nombre de rotations quotidiennes a quasiment triplé depuis la fermeture sanitaire des frontières, ces rotations étant passées de 5 à plus de 12 par jour.

À Cinkassé, à la frontière Togo-Burkina Faso, le témoignage d’un autre transporteur indique une augmentation du tarif du trajet en taxi-moto de 500 à 2 000 francs CFA par passager, tandis que le nombre des personnes qu’il convoie quotidiennement a été multiplié en moyenne par trois. La stratégie des conducteurs des taxis-motos est généralement la suivante : postés aux lieux de rupture de charge et à l’approche des zones de contrôle du point de passage frontalier officiel, ils démarchent tout individu ayant à leurs yeux l’apparence d’un voyageur désirant traverser la frontière. Fort de leur parfaite connaissance des chemins détournés et de la complicité qu’ils entretiennent avec les agents de contrôle, ces « Zémidjan » parviennent sans encombre à échapper au contrôle et à passer la frontière, contournant ainsi les restrictions aux déplacements imposées aux voyageurs par les autorités togolaises depuis la survenue de la crise sanitaire.

Quant aux transporteurs pédestres, leur présence est notoire dans la zone de Sanvée-Condji (frontière Togo-Benin). Bien que l’on ignore leur nombre exact, ce sont généralement des jeunes adultes, femmes et hommes, dont la tâche est de porter les fardeaux des voyageurs transfrontaliers. En tant qu’autochtones, ils possèdent une parfaite connaissance du terrain, et les liens de parenté qu’ils entretiennent au-delà du territoire national constituent un atout supplémentaire pour leur activité. Celle-ci s’effectue sous forme de rotations entre les deux côtés de la frontière selon des distances variables, mais qui excédent rarement 2 km. Le montant de leur rétribution oscille entre 500 et 3 000 francs CFA par transaction dont le prix exact dépend de la charge à transporter et/ou de la distance à parcourir, mais aussi des capacités de négociation du transporteur et de son habileté à démarcher la clientèle.

 

Commenter