La crise de la COVID-19 a rappelé la nécessité d’investir dans la recherche et dans l’enseignement supérieur au Togo

La crise de la COVID-19 a rappelé la nécessité d’investir dans la recherche et dans l’enseignement supérieur au Togo

Les entretiens de WATHI – Série Covid-19 – Focus diaspora Togo

Tadandja Sara

Tadandja Sara est doctorant en Science politique à l’Institut des sciences sociales du politique, un laboratoire de Centre national de recherche scientifique (CNRS) basé à l’Université Paris Nanterre (France). Avant de rejoindre cet institut, il a effectué ses études à l’Université de Lomé et à l’Université d’Abomey Calavi au Bénin

La pandémie de Covid-19 bouleverse tous les aspects de la vie et de l’organisation de nos sociétés.  En tant qu’étudiant, comment la crise sanitaire liée à la COVID 19 vous affecte-t-elle?

La décision de fermeture des universités en France est intervenue en mars 2020. A compter de cette date, les activités académiques se sont poursuivies à distance dans la mesure du possible. Ensuite la décision de confinement totale a été prise nous obligeant de rester à domicile.

Sur le plan académique, nous n’avions plus accès aux bibliothèques et laboratoires de recherche pour poursuivre nos travaux. Nous avons essayé de continuer avec ce que nous avions comme ressources disponibles en ligne. Mais mon chronogramme de recherche va forcément en prendre un coup. J’espère pouvoir m’organiser dès la rentrée prochaine pour garder le cap.

Après, sur le plan social, le confinement a été dur pour moi, et mes amis étudiants togolais et étrangers ici en France. Rester seul dans nos domiciles pendant plusieurs mois a été très difficile à supporter, mais c’était une question d’urgence sanitaire et tout le monde entier s’est résigné. Je ne parlerai pas pour mon seul cas, le confinement a entraîné une baisse ou un arrêt total des activités chez plusieurs étudiants non-boursiers qui payaient leurs études grâce aux activités extra universitaires. Dans ce cas, plusieurs en ont souffert et continuent d’en souffrir. Personnellement, j’ai pu poursuivre certaines missions d’enseignement à distance.

Comment la COVID-19 a t-elle affecté la recherche dans votre université d’accueil?

La décision de fermeture des établissements d’enseignement a énormément bouleversé le fonctionnement des universités. Mais s’il y’a une chose remarquable qu’il faut souligner, c’est la rapidité avec laquelle les responsables se sont organisés pour la poursuite des activités académiques en ligne. Dans la mesure du possible, les activités se sont poursuivies à distance. Mais les travaux de terrain ont été annulés pour plusieurs chercheurs qui avaient des missions de terrain prévues et jusqu’à ce jour, il est extrêmement difficile de faire un programme de terrain car on ne sait quand est ce qu’il sera possible de voyager plus facilement.

Selon vous, à quoi ressemblera le paysage de l’enseignement supérieur demain? Le coronavirus va-t-il changer l’organisation de l’enseignement à l’avenir?

Pour les universités françaises, il est fort probable que certaines habitudes acquises lors de ce confinement vont rester après la crise de la COVID-19. Je pense notamment à la multiplication des modules de cours en ligne. Par rapport aux universités africaines notamment ceux d’Afrique de l’Ouest que je connais bien, les universités françaises étaient déjà à un niveau avancé en matière de dématérialisation de l’offre d’enseignement. Ils vont probablement garder cette souplesse que l’enseignement à distance leur a permis d’acquérir durant cette crise afin d’atteindre plus efficacement leurs objectifs académiques.

Quelles nouvelles approches seraient nécessaires selon vous pour faire face à cette situation nouvelle et comment les choses vont-elles évoluer dans l’enseignement supérieur du Togo?

Je vais être prudent en me prononçant sur l’enseignement supérieur au Togo. J’ai quitté l’Université de Lomé après ma Licence il y a environ 6 ans et entre temps beaucoup de choses ont changé dans l’enseignement supérieur au Togo. J’essaye de rester informé des évolutions au sein de l’enseignement supérieur au Togo et je parlerai de manière générale. A mon avis, cette crise devrait rappeler aux dirigeants la nécessité d’investir dans la recherche et dans l’enseignement supérieur.

Pour la recherche, je pense qu’il serait impérieux en Afrique d’accroître les budgets consacrés à la recherche au sein des États et encourager nos chercheurs à s’intéresser davantage aux maladies infectieuses et toute autre maladie qui nous menacent. Certes, nos États peuvent arguer d’un manque de moyen financier, mais à mon avis, avec un peu de volonté, on pourrait aller vers des centres de recherche communautaires à l’échelle sous-régionale ou régionale avec une contribution de chaque État.

Je donne un exemple, pourquoi ne pas créer un centre de recherche régional à l’échelle de l’espace CEDEAO. On a toujours compté sur les États développés pour nous soutenir dans nos crises, cette crise sanitaire doit amener nos États à prendre conscience qu’il nous faut au minimum s’organiser pour faire face nous-mêmes aux défis de l’heure.

Comment la communauté togolaise dans votre pays d’accueil s’est-elle organisée pour affronter la crise?

Il existe certainement une communauté d’étudiants togolais sur Paris où je vis, mais je ne fais pas partie d’une association particulière, bien que je connaisse certains compatriotes avec qui on se fréquente. S’il y a eu une organisation d’étudiant pour faire face à la crise, je n’ai pas été informé. Mais j’ai pu remarquer des formes de solidarité ici et là comme cela a toujours été le cas entre étudiants étrangers.

Avez-vous bénéficié d’un appui des services diplomatiques du Togo dans votre pays d’accueil?

Je n’ai également pas eu écho d’un quelconque appui des services diplomatiques du Togo en France à l’endroit des étudiants. J’ai remarqué pour toutes les fois où j’ai été hors de mon pays, que ça soit en Afrique ou en Europe, qu’il y avait une «rupture» ou une «distance» entre les services diplomatiques et les compatriotes vivants dans ces pays. Le contact avec les ambassades ne s’établit que lorsqu’il y’a besoin d’établir une pièce administrative, et quand le besoin ne se présente pas, il y a une «rupture» totale.

C’est peut-être un défi que notre diplomatie doit relever. On espère qu’avec la mise en place du Haut conseil des Togolais de l’extérieur ce défi sera relevé. Il est important de tenir une liste des étudiants, leur domaine d’étude et leurs contacts pour un accompagnement ne serait-ce que moral, dans leurs études.

C’est un registre qui peut permettre la création d’un réseau fort et faciliter la mobilisation des ressources. C’est donc en partie à l’ambassade de montrer un intérêt pour ses ressortissants dans un pays et de trouver le moyen de les mobiliser. Il ne faut pas laisser la crise de confiance qui existe entre certains États africains et leurs populations se transposer à l’extérieur à travers les ambassades et les diasporas.

Au cœur de la crise sanitaire, les universités publiques du Togo ont basculé dans l’enseignement en ligne. Pensez-vous que les établissements supérieurs du Togo aient les moyens de se doter de technologies éducatives pour un enseignement virtuel de qualité?  Quels en sont les défis?

L’enseignement à distance est certes une question de moyens technologiques, mais l’avoir conçu et mis en œuvre pour la première année dans une situation de crise est déjà un début. Il est difficile de demander aux ministères en charge de se doter de tous les moyens dès la première année, dans une situation de crise. J’espère qu’ils vont consolider ces acquis et l’améliorer pour les années à venir.

C’est un excellent moyen pour résoudre plusieurs problèmes que rencontrent nos universités publiques au Togo. Je pense notamment au manque d’infrastructure, aux effectifs qui ne cessent de croître, aux crises multiples qui ont souvent entraîné des années blanches dans certaines universités en Afrique. Le passage au numérique peut également faciliter l’accès aux ressources numériques à travers le monde et contribuer à la valorisation des travaux des chercheurs togolais.

Quelle est votre appréciation globale de la gestion de la crise sanitaire par les autorités togolaises? Quelles leçons en tirer?

Dès le début de cette crise, je me préoccupais beaucoup de la capacité des États en Afrique et particulièrement celui du Togo à faire face à une crise de telle ampleur. L’état de notre système de santé ne nous rassurait en rien face à cette crise. Mais pour des raisons qui méritent des études scientifiques approfondies, à ce jour, le Togo et plusieurs autres États en Afrique s’en sortent plutôt bien par rapport à d’autres pays dans le monde. Donc globalement sur le plan sanitaire, la réaction des autorités togolaises a plutôt été efficace. Les quelques cas qui se sont révélés ont été rapidement jugulés et à ce jour, il n’y a pas de grands foyers de contamination. A part Lomé, les autres villes sont moins touchées.

Sur le plan social, la mise en place d’une assistance directe aux populations nommées Novissi, fut également une première, qui certes n’a pas été parfaite, mais un plus qui mérite d’être peaufiné pour l’avenir. D’autres crises pourront également nécessiter que l’État vienne en aide aux populations et il faut donc revoir le système pour le rendre plus égalitaire et éliminer toute forme de discrimination, qui peut être tolérée dans la mesure où cette politique a été élaborée dans une situation de crise.

C’est un système qui doit être amélioré et rajouté au paquet de filets sociaux dont dispose le Togo déjà. Elle peut contribuer à réduire les inégalités. Une des mesures pour lesquelles j’ai eu beaucoup de réserve est la mise en place d’une force militaire anti – pandémie. Dans un contexte togolais où la relation entre civil et militaire demeure cause de conflits, il n’était pas à mon avis, nécessaire de donner aux forces de défense et de sécurité une raison de rentrer en confrontation avec les populations. Le résultat on le connaît, il y a eu des victimes, cette situation aurait pu être évitée.

En tenant compte des réalités différentes quelles sont les mesures efficaces de riposte contre la Covid-19 dans votre pays d’accueil qui peuvent être répliquées au Togo?

En France, plusieurs mesures ont été prises à différents niveaux, notamment local, national et régional (au sein de l’Union européenne). Il est difficile de prescrire les mesures prises par la France au Togo, mais on peut déjà envisager une riposte à ces différents niveaux. Mais la décentralisation au Togo est assez récente, les collectivités locales sont encore très attachées à l’État central. Pour la sous-région ouest africaine, elle est à un niveau d’intégration assez avancé et des mesures concrètes peuvent être prises au niveau communautaire.

Certaines mesures à cause de leur coût et pour les rendre efficaces, méritent d’être prises au niveau communautaire et mises œuvre avec la contribution de tous. Au niveau national, la France a tenu ce qu’ils ont appelé le «Ségur de la Santé» qui a permis des discussions entre les praticiens de la santé et le gouvernement. Cette assise va certainement entraîner l’augmentation du budget de la santé et lui permettre de se doter de moyens plus efficaces.

Bien avant la crise de la COVID-19, le système de santé au Togo méritait déjà qu’on lui consacre plus de moyens afin de l’adapter aux besoins des populations. Le Togo et la plupart des pays en Afrique subsaharienne vont certainement bien s’en sortir par rapport au reste du monde, mais si à l’issue de cette crise ils ne mettent pas les moyens pour revoir leurs systèmes de santé, c’est qu’ils n’auront tiré aucune leçon.


Crédit photo : vert-togo.com

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